mercredi 31 octobre 2007

RICHESSE, PAUVRETE ET MISERE.

Pour les Epicuriens, la richesse est un désir vain. Selon Epicure il y a trois types de désirs.

Il y a les désirs naturels nécessaires tels que boire, manger, dormir, etc. et bien sûr philosopher. Il faut remarquer que ce sont des désirs dans la mesure où un être humain peut se refuser à les désirer. En effet un homme peut se décider à jeûner tandis qu'aucun animal n'envisage ce type de désir. D'ailleurs la réflexion philosophique est souvent écartée par les êtres humains alors qu'elle est selon Epicue un désir naturel nécessaire dans la mesure où l'homme pour la conservation de sa santé devrait développer une certaine intelligence de son régime alimentaire, de l'entretien physique de son corps, etc.

Il y a les désirs naturels non nécessaires comme les mets raffinés, l'amitié, etc. Ces désirs sont naturels, car par exemple l'amitié si elle est authentique renforce la réflexion philosophique par la qualité du dialogue qu'elle implique. Mais si on confond l'amitié avec une nécessité on risque
de la vivre comme une dépendance qui n'a pas lieu d'être. Un adulte peut se suffire à soi-même, il est normalement capable d'assumer sa solitude s'il a su libérer son désir de ses fausses représentations malheureuses. L'Epicurien outre l'amitié évoque le plaisir des mets raffinés. Ceux-ci ne sont pas nécessaires à notre bonne santé et pris en excés il la détériore. Mais consommés modéremment et occasionnellement, ils permettent d'explorer les sens corporels sans les émousser.



Et il y a les désirs vains comme les amours passionnels.


la recherche de la gloire


et de la richesse.


Les amours passionnels sont vains dans la mesure où on ne pourra jamais posséder le désir de l'autre d'où les souffrances de la jalousie, de l'amour éconduit, etc. Des amours sans amitié spirituelle ne servent pas à gagner l'ataraxie, ils entraînent l'éternelle insatisfaction, la satisfaction de la pulsion sexuelle ne reste qu'un soulagement temporaire immédiatement obscurci par la tristesse.
La recherche de gloire dans les rares cas où elle rencontre un succès n'est jamais satisfaite. Car toute gloire est menacée par l'oubli, la concurrence, etc.
Quant à la richesse, elle semble cumuler toutes les tares des désirs vains. Quelle quantité peut être satisfaisante ? Quand est-on sûr d'être assez riche pour ne plus pouvoir perdre le statut d'homme riche ? Le succès n'est-il pas fort rare ? Le riche n'est-il pas la plupart du temps celui dont l'habitation sera volé, la voiture fracturée, les enfants sont menacés? Le riche pourra-t-il être sûr de ses amis s'ils ne sont pas aussi riches que lui ?
Regardons qui est riche en France. D'après les statistiques seuls 3% des français a plus de 3000 euros de salaire net par mois. Autrement dit il y a moins de 1% de gens véritablement riche en France. La chance de le devenir est donc minime.

Mais sans le capitalisme et son essor entre le XVIe siècle et notre siècle, la technoscience aurait-elle connue un développement similaire ? Sans la finance, aurions-nous échappé à une société dominée par une aristocratie guerrière. Même si l'économie fleurit en temps de guerre, n'est-ce pas elle qui tisse un réseau technoscientifique mondiale qui entraîne les peuples à prendre conscience de leur interdépendance et les mènent aujourd'hui à renoncer à la guerre ? Sans une certaine finance, l'européen occidental aurait-il ce niveau de vie matériel que la plupart des seigneurs du Moyen-âge ne pouvaient même pas espérer ?

Au lieu de condamner la richesse matérielle comme démarche contraire à toute spiritualité, ne faudrait-il pas reconnaître qu'elle permet d'assurer d'abord la satisfaction des désirs naturels malgré les aléas de la nature ? La richesse matérielle assure le manger, le boire, l'abris face aux intempéries comme aucune autre société n'a pu l'assurer jusqu'ici à ses membres. L'énergie sociale consacrée au secteur primaire d'activité qui concerne notre alimentation a considérablement diminuée grâce à la technoscience et au capitalisme qui l'a développé. Le secteur secondaire qui lui-même au niveau mondial est juste en train de connaître une forte hausse va certainement rentrer en décroissance dès que les robots seront plus rentables que des ouvriers en terme de coût. L'enrichissement finira donc par nous libérer de l'insécurité liée à la survie. Seul l'enrichissement peut paradoxalement nous libérer du fait de devoir gagner notre vie. Arrivera ce moment où comme il est apparu indécent d'avoir des esclaves, il paraîtra indécent d'avoir obligé quelqu'un à gagner sa vie le rabaissant en quelque sorte au rang d'un animal qui doit lutter pour survivre. Un des signes annonciateurs de ce progrès social à venir est la mise en place de revenu minimum dans nos sociétés européennes.

La position épicurienne ou certaines interprétations théologiques chrétiennes nous semblent donc passer à côté du rôle important de la richesse dans l'évolution de l'espèce humaine.

La misère qui génère la faim, qui nous rabaisse au rang de l'animal soumis aux nécessités impitoyables de son milieu et qui donc s'oppose à la pleine satisfaction des désirs naturels ne peut être vaincu que par un enrichessement matériel qui met en jeu la technoscience et l'investissement financier qu'il soit lié à l'Etat ou à des particuliers.

Saint François écrit :

"1. Pauvreté, obéissance et chasteté.
1 La règle de vie des frères est la suivante: vivre dans l'obéissance, dans la chasteté et sans aucun bien qui leur appartienne; et suivre la doctrine et les traces de notre Seigneur Jésus-Christ qui a dit:
2 Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu as et donnes-en le prix aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis-moi.
3 Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il se renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et me suive.
4 Si quelqu'un veut venir à moi, et qu'il ne hait pas son père et sa mère, son épouse, ses fils, ses frères et soeurs et jusqu'à sa propre vie, il ne peut être mon disciple.
5 Qui aura quitté père et mère, frères et soeurs, épouse et fils, maisons et champs à cause de moi, celui-là recevra le centuple et possédera la vie éternelle."

Le voeu de pauvreté dont saint François au Moyen-âge a souligné la radicalité dans le christianisme n'est-il pas étranger en quelque sorte à une lutte radicale contre la misère qui inclut au fond l'enrichissement matériel ?

Un de ses continuateurs comme l'abbé Pierre sait dire le sens profond de ce voeu de pauvreté.
Lors du parrainage de l'école 3A à Lyon en 2000, il disait : "En voulant unir le business et le développement, n'oubliez jamais de parler des exclus de notre temps. La vie, c'est un peu de temps donné à des libertés pour apprendre à aimer."

Le voeu de pauvreté est l'abandon de toute préférence qui implique une possessivité aussi bien matérielle que relationnelle contraire à un amour authentique. Dans l'amour de Dieu, il n'y a pas de préférence.



La pauvreté absolue est de renoncer à vivre notre conscience égocentriquement mais de reconnaître qu'elle est source d'amour pour moi et l'autre si renonce à l'accaparer. Cette pauvreté bien comprise est la reconnaissance que seul l'amour de Dieu est réellement agissant. Cet amour consiste à reconnaître l'immobilité profonde de la conscience par laquelle notre corps agit aussi bien que l'autre et l'univers qui sont constitutifs de son action. La pauvreté spirituelle n'est pas tant l'abandon de l'enrichissement matériel que du motif personnel qui cherche à personnaliser égocentriquement cette forme d'enrichissement.



Evoluer spirituellement consiste alors à prendre conscience que nous ne sommes pas l'auteur de nos actions, puisque notre individualité n'est qu'un processus de dérivation au sein du processus universel.
Mais comme le montre le problème de la richesse matériel, il ne s'agit pas de se contenter de laisser-faire et de cautionner par exemple la misère humaine autant matérielle que spirituelle. Cette prise de conscience de l'auteur véritable implique forcément une évolution de notre processus individuel au service non pas de la reproduction du processus universel mais de son évolution afin qu'il s'y manifeste pleinement. L'enrichissement matériel parce qu'il demeure compris trop souvent sur le plan quantitatif fait passer à côté de cet enrichissement spirituel qualitatif qu'est une évolution consciente de la conscience dans l'étendue de sa profondeur.


Ainsi comme Aurobindo l'écrit dans La Mère :

"En cette manière le sâdhak [le chercheur spirituel] idéal est celui qui peut, si cela est nécessaire, vivre pauvrement sans qu'aucun sens de manque ne l'affecte ni n'intervienne dans la plénitude du jeu intérieur de la Conscience divine : et s'il est nécessaire qu'il vive richement, il peut le faire aussi sans jamais, à aucun moment, se laisser tomber dans le désir ou l'attachement pour sa richesse ou pour les choses dont il se sert, ni dans la servitude de la satisfaction de ses propres plaisirs, ni dans un lien de faiblesse pour les habitudes créées par la possession des richesses. La Volonté divine et l'Ananda [la joie à la fois calme et extatique du] divin sont tout pour lui."

mercredi 10 octobre 2007

EVOLUTION DES MENTALITES ET PEINE DE MORT. Evolution des mentalités 1.

Ce graphique montre l'évolution en France de la position des gens à l'égard de la peine de mort.

On constate que l'opinion contre la peine de mort a mis plus de 20 ans à devenir majoritaire après son abolition en 1981. On perçoit aussi malheureusement un redressement de cette opinion dans la population française.

Quand on discute de la peine de mort on fait toujours appel à des sentiments et des arguments mais on considère rarement que la position vis-à-vis de la peine de mort pourrait relever d'une évolution culturelles des mentalités.

Tuer soi-même le meurtrier d'un des membres de sa famille n'est pas se faire justice soi-même, cela revient à une logique de vengeance voire de vendetta. Car si on admet une telle logique on ne devra pas s'étonner que la famille du meurtrier ainsi châtié s'estime elle-même en droit de se faire justice elle-même.
Evidemment il est aujourd'hui de bon ton pour justifier des pensées de vengeance de justifier celle-ci au nom de la monstruosité du crime. Le crime dont la vistime serait un enfant serait ainsi plus monstrueux que le crime sur une personne âgée. Une telle approche n'a pas de sens en soi... Pourquoi la vie d'un enfant aurait-elle plus de prix que la vie de n'importe quel être humain ? Ce qu'on reproche au fond au meurtrier d'un enfant est de tuer l'enfant comme la part de nous-même qui devrait vivre après nous. Mais n'est-ce pas là encore une valeur pour le moins discutable ? Pourquoi l'enfant devrait-il nous prolonger ? N'est-ce pas encore une fois nier l'individualité profonde de tout être humain qui lui donne son égale dignité ?
Ces arguments qui survalorisent notre descendance sur notre ascendance relève donc d'une mentalité tribale. Ces personnes réclament la peine de mort dès qu'on sait évoquer leur fibre tribale : si on tuait ton enfant, tu n'aurais pas envie de voir mort son meurtrier ?

Toutefois notons que rares sont ceux qui après avoir perdu un menbre de leur famille se font justice eux-mêmes. On attend plutôt que la justice applique cette peine de mort. La plupart des partisan d'un retour de la peine de mort se réclame en fait d'une forme de Talion. Le Talion est un principe biblique qui proclame : "oeil pour oeil , dent pour dent". Là où la vengeance veut rendre au-delà de ce qui en est à l'origine : tu m'as tué un enfant, je tues tous tes enfants ; tu as tué tous mes enfants, je tortures, je viole et je tue ta femme et ta mère ; etc.
Ainsi on humanisera peu à peu la peine de mort en la confiant à un organisme d'Etat qui rendra oeil pour oeil, dent pour dent ni plus ni moins. La famille victime et la famille du meurtrier renonceront ainsi à une logique de vendetta. Cette mentalité même du point de vue d'une mentalité qui trouve inhumain la peine de mort si on la considère sous cet angle de vue semble bien être en progrès sur la mentalité tribale de vendetta. Même si une mentalité tribale lorsqu'un crime est commis par un membre de la tribu familiale sur un autre ne recourera presque jamais à la peine de mort : elle ne voudra pas perdre deux membres de sa tribu familiale au lieu d'un. La mentalité du Talion relève donc d'une mentalité où une tribu, une famille est prête à sacrifier un de ses membres à une organisation ethnique ou nationale qui lie des tribus ou des familles diverses entre elles.


Si on considère cet aspect, la scène biblique du sacrifice d'Abraham s'éclaire soudain. Dieu promet un peuple à Abraham que si il est prêt à sacrifier son fils. La loi du Talion qui fonde un esprit ethnique auquel doit se soumettre l'esprit tribal nécessite d'être prêt à sacrifier son propre fils si la justice du peuple l'exige. Sans cette possibilité intérieure la tribu ou la famille d'un meurtrier refusant de le livrer à la mort nourrirait une guerre tribale où le sens de l'ethnie s'effondrerait.

La modernité qui est marquée par la prédominance d'une mentalité rationnelle considérera de plus en plus qu'il est insuffisant de fonder la peine de mort sur des questions de foi religieuse. On considérera alors sa nécessité du point de vue de deux approches antinomiques. La première majoritaire estime qu'un homme libre et rationnel qui met fin à une vie doit avoir suspendu au-dessus de lui la menace de la sanction de la mort. La seconde minoritaire estime que l'homme est déterminé et donc qu'un meurtrier est un être fondamentalement nuisible qu'il nous faut éliminer. La peine de mort est donc une sanction judiciaire rationnelle si la justice vise à assurer la sécurité des membres de la communautés.

Mais la raison pose avec une force jamais aussi bien soulignée le rôle central de l'individualité. Il paraît plus sensé d'être contre la peine de mort si l'individualité a au moins autant d'importance que la paix de la communauté. On ironisera volontiers sur celui qui précise à son agresseur qu'il est contre la peine de mort et donc contre sa propre agression mais cela n'est-il pas plus rationnel que les raisons justifiant la peine de mort au nom de notre liberté ou de notre déterminisme ?
Cette planche de Franquin montre de façon évidente ce qu'a d'irrationnelle la peine de mort. Reprenons les arguments modernes pour la peine de mort et montrons qu'ils peuvent être retournés.
Un être libre n'a-t-il pas droit à une seconde chance ? La liberté n'implique-t-elle pas plutôt l'interdiction d'identifer un individu à ses actes même criminels ? La réhabilitation n'est-elle pas le but le plus rationnel de toute sanction visant à restaurer le respect de la dignité des individus ? Mais si l'homme est déterminé, n'avons-nous pas le devoir d'essayer de le rééduquer ? N'avons-nous pas le devoir de comprendre les ressorts psychologiques, sociologiques, etc. qui l'ont consuit à cet acte ?
L'humanisme qui plonge ses racines dans le christianisme n'a peut-être pas à choisir entre liberté et déterminisme. Il suffit qu'il considère la proximité du pardon et de l'exorcisme thérapeutique exercé par Jésus-Christ : dans les deux cas il s'agit de libérer une âme de son passé afin qu'elle évolue positivement.
La raison après avoir rationnalisé le Talion peut rationnaliser le sens du pardon et de la guérison des âmes. La foi en l'amour des âmes doit dépasser toutes les mentalités collectives qui écrasent les individus. Il y a là en germe la postmodernité que Lyotard caractérise comme la fin des grans récits qui s'imposaient à notre collectif.

Toutefois la modernité qui regarde vers la prémodernité rappellera les impératifs collectifs. Nous ne pouvons pas mettre en pratique un tel souci des individus. Le souci des individus justifie le chaos social puisque ce souci revient toujours à promouvoir l'égocentrisme et donc l'égoïsme. L'universel collectif qui n'existe concrétement que sur un plan ethnique face à une logique des individus finit toujours par être menacé. On vilipende volontiers l'esprit soixante-huitard et en sous-main on voit ceux qui s'affirment postmodernes comme des individualistes modernes. Le seul individualisme qui vaille est celui dont l'effort pour s'enrichir honnêtement sert la croissance nationale.


La raison même humaniste ne peut guère rendre compte d'une l'harmonie éventuelle du collectif et de l'individuel qu'on pourrait rendre effective au niveau pratique. C'est pourtant ce sentiment et cette expérience que ceux qui ont occupé la Sorbonne ont ressentis et qui a participé à la liquidation des idéologies gauchistes strictement collectivistes. Bien entendu, l'aspect individualiste semble de l'extérieur l'avoir emporté. Mais on voit se dessiner un courant spirituel nourri de penseurs intégralistes comme Aurobindo et d'autres dont les premières confirmations visibles remontent à ces hippies soixante-huitards qui voulaient changer soi avant de changer l'ordre du monde au vu des limites de l'harmonie entre individuel et collectif. Ces penseurs fournissent, il est vrai, des grilles d'analyse qui permettent dans une certaine mesure d'éviter le flou postmoderne. Notre grille des mentalités ici leur doit beaucoup.

Ken Wilber un de ces penseurs activistes les plus éminents parle de niveaux de mentalité égocentrique, familial, tribal, ethnique, humaniste et enfin cosmique.
La raison permet aux penseurs intégralistes comme Ken Wilber de mettre en valeur comme une dialectique de l'individuel et du collectif croisé à une dialectique du subjectif et de l'objectif qui au final laisse entrevoir une harmonie de plus en plus élaborée.
De ce point de vue la défense de la peine de mort pointe aujourd'hui une appartenance sociale dont la mentalité est plutôt dominée par l'esprit moderne versus prémoderne.
Mais ce regard est encore incomplet s'il demeure seulement de l'ordre d'un discours intellectuel.

Revenons à ce que nous avons découvert de notre conscience. Notre conscience n'est pas la conscience d'une personne enfermée dans le cerveau de tel corps isolé des autres. Notre conscience est l'unique Conscience Universelle et Transcendante qui à travers nous s'individualise dans l'écho de toutes ses tentatives d'individualisation. Notre identité personnelle n'est donc que le reflet momentané d'une tentative d'individualisation parmi d'autres passées et à venir, parmi celles semblables qui lui sont contemporaines mais plus ou moins élaborées que la sienne. Si on prend ce regard qui n'est plus exactement celui de la raison mais il peut l'englober comme l'un de ses moments de développement. Si nous savions nous rapprocher en notre conscience de ce point fondamental d'individualisation de la Conscience une, nous serions reliés immédiatment à la tentative d'individualisation de celui qui prône la peine de mort et donc à tous ceux qui se plaisent à la donner. Nous saurions que la mort ne fait que renvoyer une tentative d'individualisation à une suivante où les risques de reprendre là où la tentative précédente s'est arrêtée est plus que probable. Des pensées, des mentalités, des émotions et des sensations demeureront qui produiront d'autres meurtrier. On a beau tuer un meurtrier on ne tue pas son esprit de mort tant qu'il n'a pas été réinscrit dans un esprit plus vaste qui permette de le dominer et de le dépasser. L'esprit de meurtre et l'esprit qui veut la peine de mort s'avèrent alors des esprits où la crainte de la mort et le désir de mort se nourrissent l'un l'autre dans l'ignorance de l'éternité fondamentale de la conscience une qui cherche forcément à se retrouver dans sa manifestation individualisée et cosmique.

La question de la peine de mort n'est qu'un aspect de la culture de mort dans laquelle l'humanité continue d'évoluer. Même celui qui s'y oppose ne semble guère aller jusqu'au bout en apercevant que l'humanité ne sombrera pas dès lors qu'apparaîtra de plus en plus inéluctable une évolution qui manifestera l'éternité dans la matière.

LE PRINCIPE DU GURU ET L'EVOLUTION DES MENTALITES. Evolution des mentalités 2.


LE PROBLEME.

Lorsque quelqu'un envisage de devenir un plombier, il doit bien se mettre à l'école d'un expert en plomberie. Il semble curieux qu'en matière de savoir vivre, bien vite une fois passée notre jeunesse, il nous semble que nous n'avons plus besoin de personne... Cet argument est souvent utilisé dans le boudhisme pour justifier l'importance spirituelle de devenir le disciple d'un maître de vie, c'est-à-dire d'un Guru en langue sanskrite.
Toutefois un penseur spirituel de premier plan comme Jiddhu Krishnamurti dénie toute autorité spirituelle à qui que ce soit. Selon lui personne ne peut guider un libre examen des processus de notre conscience sinon notre propre engagement dans l'attention qui conduit à l'auto-observation libératrice de la conscience par elle-même.
En ce sens ceux qui associent systématiquement Guru et chef de sectes où manipulations, extorsions, etc. sont monnaies courantes n'ont-ils pas raison ? Dès lors qu'une démission de notre libre examen a lieu face à une personne ne devenons-nous pas en quelque sorte une marionnette entre ses mains ?
Mais le maître d'école, le professeur ou des parents n'occupent-ils pas qu'ils le veuillent ou non une position de maître de vie pourvu d'une autorité reconnue socialement à travers laquelle ils peuvent conduire ceux dont ils ont la charge à des formes perverties de leur libre examen ? Jiddu Krishnamurti n'était-il pas lui-même un enseignant qui faisait autorité dans l'esprit de nombreuses personne et cela malgré ses critiques de toute forme d'autorité extérieure ?
Le Guru qui spolie ses disciples n'est-il pas après tout qu'un symptôme social de cette difficulté humaine à vraiment libérer le libre examen ? Sur tout homme s'est exercée ou s'exerce une autorité parentale, professorale, politique, policière, militaire, etc. comment dès lors dépasser ce qui s'avère une structuration de sa conscience ? Peut-on réformer les autorités sociales indépassables que sont celles des parents, des professeurs pour libérer une vraie capacité de libre examen ? Puisqu'il y a un principe du Guru indépassable sous la forme des parents ou des professeurs, comment le repenser en le mettant au service de l'autonomie individuelle de la conscience ?


LA REPONSE DES INTEGRALISTES WILBERIENS.

Faisons un détour par la pensée intégraliste pour essayer d'apporter une réponse à ce débat constant dans les milieux spirituels occidentaux contemporains entre les défenseurs d'un principe du Guru et les contempteurs d'un tel principe.
Avec Ken Wilber et d'autres penseurs intégralistes, on distingue un va-et-vient en des mentalités où prédomine l'individualisme et d'autres où prédomine plutôt un certain sens collectif. Caleb Rosado dans un article traduit en français sur Integralworld.net offre une version de ce modèle évolutif des mentalités :
LES NIVEAUX EN SPIRALE DES CODES CULTURELS DES SYSTEMES DE VALEURS HUMAINS
MEMES COULEUR selon D. Beck
THEME CENTRAGE
[focalisation]
PENSEE SYSTEMES DE VALEURS—STYLES DE VIE ELEMENTAIRES
Niveau 8 Turquoise Intégration Nous Holistique Harmonie et Holisme, Vit pour la Sagesse
Niveau 7 Jaune FlexFlow Moi Systémique Processus Naturels d'Ordre & Changement, Vit pour la Mutualité
Niveau 6 Vert Lien humain
Nous Humaniste Égalité et Lien Humain Social, Vit pour l'Harmonie
Niveau 5 Orange StriveDrive Moi Matérialiste Succés et Gain Matériel, Vit pour le Gain.
Niveau 4 Bleu Force de la vérité Nous Absolutiste Autorité, Stabilité, "Une seule bonne Façon", Vit pour plus tard
Niveau 3 Rouge Pouvoir sacré
Moi Égocentrique Pouvoir, Gloire, Exploitation, Pas de Limites, Vit pour Maintenant
Niveau 2 Violet KinSpirits Nous Animiste Mythes, Ancêtres, Traditions, Les Nôtres, Vit pour le Groupe
Niveau 1 Beige Survie Moi Automatique Rester en Vie, Réactif, Survie Basique, Vit pour Survivre
De ce point de vue d'une évolution des mentalités, le débat autour du principe du Guru semble s'éclaircir.
L'être humain qui survit se met à l'écoute dans la nature et dans son environnemment de tout ce qui lui garantit mieux sa survie.
Le membre d'une tribu se soumettra aux esprits de sa tribu. Le sorcier ou le chaman le relie aux esprits de ses ancêtres. Un chef souvent symbolique se fait le gage d'unité des membres vivants de la tribu.
Au niveau 1, le Guru est en nous, la nature et l'environnement renvoie au Guru en nous qui nous inspire des moyens de mieux survivre : le maître en nous est ce qui nous relie à la nature. Au niveau 2, la prédominance du collectif et de sa culture semble liée à une fonction qui anticipe celle du Guru.
On pourrait ainsi généralisé et expliquer le débat contemporain en disant que la focalisation sur le Nous propre au niveau de mentalité Vert réactualise le principe d'un guide spirituel tandis que le "Moi" propre au niveau Orange ou Jaune soit dénigreront ce principe soit le relativiserons au nom d'un Guru intérieur (la raison ou l'art de la pensée systémique). L'intégraliste qui revendique son appartenance au niveau Turquoise qui justement découvre la spirale évolutive des mentalités ne pourra que réinstaurer un principe du Guru. Celui-ci serait nécessaire car seul il permettrait justement de favoriser une meilleure harmonie entre ces divers niveaux de mentalités qui aujourd'hui cohabitent dans le chaos de nos sociétés postmodernes. Du point de vue intégraliste, il y a ceux qui savent intégrer mieux que d'autres dans les divers domaines du développement humain. Intellectuellement je peux être un bon intégraliste mais sans avoir réalisé cela sur le plan de mon intériorité ou avoir mis en oeuvre cela dans une nouvelle relation intersubjective au sein de laquelle il y aurait une reconnaissance naturelle d'une authentique hiérarchie évolutive et spirituelle. Le wilberien rigoureux parlera d'holarchie et non de hiérarchie qui n'aurait rien selon eux d'une organisation au service de l'évolution même si elle en est un produit intermédiare : nous examinerons cette nuance plus tard.


CONTESTATION DE CETTE REPONSE.

Cependant cette réponse ne nous semble guère convaincante. Même si l'intégraliste le plus reconnu qu'est Ken Wilber se dit davantage un érudit se battant pour ce dharma (ordre de vie) intégraliste, il y a comme une religiosité traditionnaliste de nombreux de ses admirateurs que son propos ne permet pas vraiment de combattre.

Le tableau ci-dessous en est une illustration :


Par ailleurs, un éminent penseur intégraliste comme Andrew Cohen qui a annoncé le dépassement du principe du Guru à cause du surgissment d'une conscience collective continue lui-même à se présenter comme un Guru au nom d'une hiérarchie spirituelle authentique. Et ses disciples n'hésitent pas en privé à le considérer comme la manifestation divine de Dieu sur terre la plus accomplie même si bien sûr chacun d'entre nous représente une tentative évolutive de manifestation divine. Dans ce cas aussi, il y a comme une religiosité traditionnaliste à l'oeuvre.


Nous affirmons que malgré les quelques réaménagments opérés par les penseurs intégralistes dans la mouvance de Wilber ou de Cohen, un élément de religiosité traditionnaliste n'a pas été dépassé par eux. Cette affirmation peut avoir quelque chose de scandaleux mais elle tient selon nous à une conception défectueuse du concept de hiérarchie par la plupart des penseurs intégralistes. Seul Aurobindo et ses disciples majeurs parmi les penseurs intégralistes nous semblent échapper à une telle conception défectueuse. Nous nous tournerons donc vers les niveaux 3, 4 et 5 pour mettre au jour cette défectuosité.



LA HIERARCHIE TRADITIONNALISTE EST UN MODELE DE SOCIETE CLOSE.

Dans les univers prémodernes traditionnalistes, il y a une profonde reconnaissance de hiérarchies spirituelles. Ces hiérarchies spirituelles s'articulent à des hiérarchies de sociétés civiles. Là où il paraît évident aujourd'hui que celui qui toise nos sociétés est un homme riche, il paraissait évident au moyen âge que l'écclésiastique ou le guerrier possédait le pouvoir. Dans ces sociétés hiérarchiques prémodernes on admettait donc aisément l'idée que pour vraiment progresser spirituellement il fallait se soumettre à un maître. En Inde ce maître spirituel se nomme donc un guru.


La pensée moderne est par définition critique à l'égard de tout principe d'autorité. Descartes nous invite à douter de toute forme d'autorité pour véritablement affuter notre rationalité. Selon lui quelque chose est rationnel, s'il est indubitable du point de vue de la conscience. Descartes affirme que "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée".
Cette mise en cause du principe d'autorité initialement exigé au sein d'une méthode scientifique a joué, on le sait, un rôle déterminant dans la mise en cause des systèmes hiérarchiques de pouvoir qui ont abouti après plus de quatre siècles et demi au triomphe d'un certain modèle démocratique occidental.
Cet élément concernant l'autorité permet d'ailleurs de contester un modèle linéaire d'évolution des mentalités où soi-disant la mentalité tribale précédérait la mentalité ethnique hiérarchique telle celle du moyen-âge chrétien avant de voir apparaître la mentalité moderne puis postmoderne. Il y a toujours eu des êtres en avance sur leur mentalité et il y a des interprétations de la hiérarchie qui rompent avec un modèle d'autorité indiscutable. Le Bouddha dès le Vème siècle avant Jésus-Christ estime qu'on doit interroger le maître spirituel et mettre en cause sa fiabilité et c'est dans cette optique qu'il est allé à l'encontre du système des castes indiens. Ce système des castes indiens était pourtant issu d'une conception du monde mettant au centre et au sommet la recherche spirituelle mais pour le Bouddha, il était devenu traditionnaliste. La caste Brahmane (la caste sacerdotale) n'avait à l'évidence guère de véritable autorité spirituelle, elle n'était qu'une mémoire religieuse sans vigueur spirituelle. Le Bouddha en contestant les concepts brahmaniques veut rallumer la flamme spirituelle. Shankara plus tard en montrant que le vocable brahmanique avait une vigueur spirituelle permettra au système de caste de survivre. Mais la société indienne sera désormais coupée en deux : la société mondaine continuera à être dominée par la caste sacerdotale et à côté d'elle sera toléré des chercheurs spirituels sans caste où seule importera l'authentique autorité spirituelle.

A vrai dire les sociétés chrétiennes auront au Moyen-âge une organisation semblable dans la mesure où à la hiérarchie mondaine dominée par la caste écclésiastique s'articuleront des organisations monacales de chercheurs spirituels. Toutefois à la différence de l'hindouisme, les organisations spirituelles auront toujours à coeur une réforme de la société mondaine : jusqu'à la Renaissance soit ces tentatives ont été annihilées (le catharisme, le libre esprit), soit elles ont été assimilées à la hiérarchie écclésiastique (les franciscains, les carmélitains). A vrai dire la Renaissance signifie les premiers succès d'une Réforme spirituelle de la société mondaine et elle signifie la mise en cause des hiérarchies religieuses et mondaines surplombant la vie politique.

Il semble au regard de l'histoire de l'occident chrétien comme de l'histoire de l'Inde que le concept même de hiérarchie s'oppose dans sa compréhension traditionnaliste à toute évolution culturelle et spirituelle. A vrai dire l'Inde est aujourd'hui de retour dans l'histoire parce qu'elle a peu à peu intégré la mentalité occidentale caractéristique de la destruction de l'homo hierarchicus.

Ainsi ceux qui parmi les intégralistes remettent en avant le principe de hiérarchie spirituelle authentique (sous une forme holarchique) comme devant fonder une communauté où la valeur première est celle de l'évolution de la conscience ont-ils suffisamment perçu en quoi le concept de hiérarchie reste profondément entâché par une mentalité traditionnaliste ? Ils n'ont pas clairement établi en quoi la hiérarchie au sens traditionnaliste est caractéristique d'une société close comme le dirait Bergson. Autrement dit, ils n'ont pas encore précisément vu en quoi ce concept ( qui selon nous correspond à son commencement à ce qu'il nomme holarchie) a été profondément perverti par les sociétés traditionnalistes et ils n'ont pas saisi en quoi la raison moderne anti-autoritaire semble incompatible avec une société hiérarchique ou même holarchique. Renouveler le concept de hiérarchie sociale à l'aide d'une conception holarchique chez certains wilbériens suffit-il à surmonter ces défauts de systèmes sociaux inégalitaires qui nous le montrerons proviennent de sociétés originellement holarchiquement hiérarchique ? Un travail de clarification est donc nécessaire sur ce qui a produit les travers traditionnalistes de l'organisations hiérarchique à l'origine fortement holarchique. Est-ce qu'une organisation hiérarchique est condamnée par définition à la sclérose ou est-ce qu'on peut la prémunir contre elle ? Un renouvellement holarchique de la hiérarchie est-il dès lors suffisant pour échapper à ces tendances de clotures et de scléroses des rôles sociaux ?


LA PERVERSION DES SOCIETES HIERARCHIQUES SPIRITUELLES EST-ELLE INELUCTABLE ?

A notre connaissance Aurobindo est le seul qui parmi les penseurs intégralistes permet vraiment d'apporter une réponse à cette dernière question. Le propos qui suit est largement inspiré de sa lecture et de celle de certains de ses disciples.

a) Limites du respect de la dimension divine de l'individualité des personnes dans les sociétés hiérarchiques.

Premièrement, le système traditionnaliste prémoderne entraîne un manque d’individualisation des personnes se tenant dans le bas de la hiérarchie sociale qui forcément se retrouvera à son sommet.

Socrate ou Jésus-Christ ont par le don de leur vie voulu suggérer à leur communauté et à l’humanité qu’il était nécessaire de donner des droits imprescriptibles à chaque être humain pour le défendre de la communauté. Tout homme dispose d’un potentiel de « bon sens » : Socrate associerait ce bon sens aux exigences du dialogue, Descartes l’associait aux exigences logiques et rationnels sans suffisamment se souvenir que chez Socrate et Platon elles sont reliées à l’éthique du dialogue. Plus encore que d’un potentiel de bon sens, tout homme dispose d’un potentiel d’ « amour du prochain comme de soi-même » comme Jésus-Christ entre autres a voulu le suggérer. Ainsi tout homme disposant d’un potentiel de bon sens et d’amour a une dignité même si trop souvent bon sens et amour ne sont pas développés en tant qu’instrument d’une intelligence spirituelle universelle.


Accéder au sommet de la hiérarchie sociale consistait dans les sociétés prémodernes traditionnalistes à passer d’une pratique religieuse exotérique à une pratique ésotérique par le biais d’épreuves sélectives d’initiation. Parfois certains esclaves jugés dignes d’être des hommes libres étaient affranchis, certains artisans faisant preuve d’héroïsme étaient anoblis, l’engagement spirituel d’un homme le rendait hors caste et l’assimilait à la caste spirituelle supérieure… Mais il n’y avait aucun système d’éducation global ou intégral. On ne considérait pas suffisamment la valeur spirituelle de la personne humaine… Et il est vraisemblable que ce système s’est effondré car justement il n’y avait pas une correspondance entre valeur spirituelle réelle des personnes et valeur sociale.
Contrairement à ce qu’affirment les nostalgiques du monde prémoderne, ce ne sont pas la fatalité des forces de décomposition du matérialisme qui a triomphé. En fait la raison moderne matérialiste fût la réponse la plus digne à une dégénerescence inhérente aux sociétés hiérarchiques traditionnalistes. La raison moderne a développé l’idée universelle d’égale dignité des personnes que les hiérarchies traditionnalistes niaient même si comme un point de vue intégraliste postmoderne éclairé le reconnaît, il n’y a pas d’égalité spirituelle. En un sens tout être humain participe de l'absolu et le manifeste en tant qu'individualisation, ce qui fonde la dignité profonde de tout être humain, mais chaque être humain individualise plus ou moins universellement l'absolu, ce qui fonde l'inégalité spirituelle.

Malgré leur prévention, les penseurs intégralistes dans la mouvance de Ken Wilber offrent-ils à cette dimension la place qui lui revient ? Le concept d'holarchie qu'ils opposent à celui de hiérarchie suffit-il à prendre au sérieux l'existence d'un principe universel d'invidualisation qui, si il est avéré, se traduit par l'existence en toute personne d'une étincelle divine individualisée ? Selon Aurobindo, celle-ci serait une réalité et l'évolution s'expliquerait par le fait que cette étincelle d'individualité divine en toute vie cherche à projeter dans l'univers physique, vital et mental une personnalité non déformée par les processus universels déterministes. De ce point de vue la plupart des penseurs intégralistes ne semblent donc pas distinguer clairement l'âme de désir qui est le fruit individuel ambigu consenti par le processus universel et lorqu'ils évoquent l'âme évoquent-ils vraiment une âme psychique qu'au fil de l'évolution l'étincelle d'individualité divine de vie en vie aurait su constituer ?

b) – Limites pédagogiques des société spirituelles hiérarchiques.

Deuxièmement, ces sociétés prémodernes hiérarchiques auraient pu peut-être subsister sous la forme de La République de Platon. Platon proposait la constitution d’une cité idéale qui reprenait la structure sociale des sociétés prémodernes. Mais il intégrait à un système prémoderne traditionnaliste qu'il jugeait déjà une forme dégénérée un système éducatif de type quasi intégral qui selon lui caractérisait un âge d'or oublié. Autrement dit, un type d’éducation propre à chaque classe sociale devrait être proposé pour que la hiérarchie soit spirituelle. Il devait aussi permettre la révélation des meilleurs parmi une classe pour les éduquer ensuite en vue de constituer la classe sociale supérieure. Platon cherchait un système politique qui n’aurait pas permis la condamnation ou la relégation sociale d’un homme d’excellence : Socrate son maître n’avait-il pas été condamné par la démocratie athénienne, ce régime ne pouvait pas être bon puisqu’il était incapable de reconnaître les meilleurs. Le défaut majeur d'une démocratie était donc de nier l'existence d'une hiérarchie spirituelle invisible aux yeux ordinaires mais qui manifestée politiquement susciterait une société parfaite.

A partir de ce point de vue étonnament proche de nos penseurs intégralistes Wilberiens, Platon défendra le fait que hommes et femmes reçoivent le même type d’éducation excepté quelques aménagements dus au sexe. Dans son école philosophique, l’Académie, il admît d'ailleurs les femmes. Le concept de hiérarchie platonicienne est au final très proche du concept d'holarchie puis chaque niveau de conscience de la cité est inclu et transcendé par le niveau supérieur à partir du moment où chaque niveau offre la possibilité éducative d'acquérir la position du niveau supérieur.

Mais Platon a peut-être manqué malgré sa profondeur celle qui constituait celle de l’enseignement de son maître. Socrate avait été un accoucheur d’individualités très diverses : outre le maître de Platon, Socrate a été le maître d’Antisthène qui fût l’inspirateur des cyniques et des stoïciens qui affirment qu’il vaut mieux changer soi que le monde ; il a été le maître d’Aristippe qui à l’opposé de la modestie et de la pauvreté volontaire d’un Antisthène prône un hédonisme philosophique proche de certaines interprétations du tantrisme. Socrate n’aurait certainement pas comme Platon confondu des classes sociales avec un degré de sagesse.

Cette redécouverte de Socrate pour sa mise en valeur d'une dimension individuelle divine met à l'évidence en cause la vision hiérarchique voire holarchique de Platon et par la même occasion permet de soupçonner sa valeur chez les penseurs intégralistes Wilberiens. Les disciples de Socrate ne peuvent pas être placés sur une échelle unique de plans et de niveaux qui s'incluent et se transcendent les uns par rapport aux autres.

Pour Socrate, la sagesse peut et doit s’individualiser pour chaque être humain afin qu'il se mette à l'écoute de son daimon intérieur (le génie intérieur) qui le lie à son âme authentique. Ainsi Socrate individualise son dialogue pour qu'il aide des individus de tout horizon mental et social à mieux se connaître.
Les âmes n'ont pas toute la même capacité d'intégration des forces spirituelles et chacune a des procédés d'intégration unique mais à partir du moment où l'âme émerge chez un individu qu'elle soit grande, petite, profonde ou ample, elle incarne une authentique dimension de la réalité. L'âme dont le champ d'intégration est plus vaste écoutera dès lors avec profit toute parole d'une âme authentiquement manifestée même si son champ d'intégration est moins vaste en apparence. Toute âme s'avère donc comme une dimension de notre propre âme. L'âme qui n'émerge pas encore authentiquement deviendra de plus en plus accessible à celui dont l'âme devient de plus en plus consciemment consciente d'elle-même au niveau de sa personnalité mentale, vitale et physique.
Si on prend au sérieux le fait que Socrate ait choisi de se faire condamner à s’empoisonner alors qu’on lui donnait la possibilité de s’enfuir, on pourrait comprendre qu’il voulait davantage confronter les individus prétendant défendre la démocratie à eux-mêmes. Socrate ne pensait pas à fonder une cité utopique non démocratique comme Platon l’a envisagé. Socrate n'envisageait que l'utopie d'une société où chacun vivrait son individualité mentale, vitale et physique comme une manifestation de son âme. Du point de vue de cette utopie, au coeur de toute âme s'exprimerait de plus en plus consciemment la symphonie de toutes les âmes.

Platon passa peut-être à côté du sens profond de l'âme de Socrate. Il fût donc nostalgique d’un âge d’or prémoderne qui aurait précédé sa dégénerescence traditionnaliste et démocratique qui selon lui aurait causé la mort de Socrate. Mais loin de retrouver l'éventuelle profondeur de cet âge d'or, ne participa-t-il pas plutôt à en fonder une image mythique discutable ?
Ainsi ses hésitations quant à l’existence du statut d’esclave marque l'ignorance d'une spiritualité du service qui donnerait à un serviteur d'être considéré comme une manifestation divine. Certes dans La République, on ne voit pas qu’il soit question d’esclave. Mais dans Les Lois où la dimension éducative dont le sommet et le vecteur serait le dialogue philosophique est moins prégnante, l'esclavage est accepté.

Aider les êtres humains à évoluer spirituellement a une dimension imprévisible qu’une structure sociale hiérarchique fixiste ne peut intégrer même si on envisage que les individus puissent occuper des places diverses dans cette hiérarchie suivant leur progrès. L’évolution spirituelle des parties doit s’allier à une réorganisation constante des relations entre parties qui ne sera pas intégralement hiérarchique si elle prend au sérieux l'individualisation psychique et spirituelle. Bien plus si on admet que n'importe quel individu peut ouvrir sa voie propre individuelle qui aura une portée universelle alors une conception uniquement holarchique sera insuffisamment ouverte. Certes une holarchie ou une holacratie en plus d'intégrer et de transcender chaque niveau dans le niveau supérieur entendent intégrer dans le futur des niveaux dont elle n'a pas encore l'idée. Mais si l'évolution a vraiment un point de départ individuel alors tel individu situé à tel niveau peut s'avérer le point vers lequel tout l'ensemble se focalise et au même moment un autre représentera un point d'appel semblable et ainsi de suite. Comme des gouttes d'eau tombant à la surface d'un lac créent des points multiples d'évolution du lac créant une harmonie qui n'a plus rien de hiérarchique. Si on prend au sérieux l'impact évolutif d'une multitude authentiquement individuelle une holarchie ou une holacratie s'avèrera un type d'organisation guère plus ouverte qu'une organisation hiérarchique.

A partir de cette critique on peut ouvrir de nouvelles pistes de réflexion : Dans la vision moderne les changements dans la hiérarchie sociale sont reconnus nécessaires en vue d’intégrer les innovations technologiques et matérielles : la modernité commence donc sous la forme d’une méritocratie démocratique. Mais cette hiérarchie de la connaissance à l'heure de la pluridisciplinarité ne peut plus former une unique hiérarchie dès lors qu'aucun être humain ne peut plus à lui seul tout connaître des sciences.
Dans une vision spirituelle évolutive postmoderne, les changements d'organisations de compétences techniques et économiques coïncident-ils et se superposent-ils aux prises de conscience de nouvelles organisations spirituelles diverses et qui se chevauchent les unes les autres ? N’est-il pas temps de matérialiser consciemment contre les injustices criantes engendrées par le monde moderne ce jeu de renouvellement d'un corps d'organisations spirituelles plus ou moins connexes et en constant bouleversement ?
Un management holarchique ou holacratique correspondrait mieux aux types nouveaux de rationnalités technoscientifiques mais au final cela reste l'expression d'une conscience mentale et pourquoi l'évolution de la conscience devrait-elle se limiter à une conscience mentale ? Une société holarchique cloturerait l'humanité dans une conscience mentale technoscientifique : or la pensée d'Aurobindo tend précisément à montrer que c'est cette conscience mentale technoscientifique que l'évolution doit absolument dépasser pour ne pas s'achever sur la barbarie...

c) – Les limites spirituelles de la société prémoderne hiérarchique sont les limites même de la conscience mentale.

Troisièmement, si du point de vue prémoderne, on veut répliquer à la critique précédente et vraiment envisager la société prémoderne comme celle d’un âge d’or révolu, on peut interpréter avec Aurobindo dans Le cycle humain les classes sociales prémodernes comme des classes psychospirituelles au sein d’une société toute entière imprégnée par la quête spirituelle. Il faut alors remonter en amont des sociétés traditionnalistes vers des sociétés dont on peut supposer que la hiérarchie serait toute entière spirituelle et donc ouverte à une exploration spirituelle de nouveaux plans de conscience.

Dans ces sociétés hiérarchiques pleinement spirituelles, la classe des hommes cherchant le divin par la connaissance est celle des prêtres. La classe des hommes cherchant le divin par le courage, le renoncement à soi est celle des guerriers. La classe des hommes cherchant le divin par le travail de transformation du monde matériel est celle des artisans et paysans. La classe des hommes cherchant le divin par la soumission, le service est celle évidemment des serviteurs. Du point de vue spirituel, chacune de ces classes pourrait exprimer tout autant le divin. Comme le dit Thérèse de Lisieux, il y a de grands récipients et de petits récipients spirituels mais l'essentiel est chacun soit rempli à ras bord de l'amour de la présence divine : ainsi l'inégalité spirituelle n'empêche pas éventuellement une profonde égalité dans la complétude divine. L'organisation hiérarchique semble alors se combiner avec une société psychique où chacun vit sa conscience mentale, vitale et physique de plus en plus consciemment au niveau de son âme. Et les plus avancés pourrait incarner des plans surmentaux voire entrevoir des plans au-delà de toute conscience mentale. Pour Aurobindo, la société décrite par les Védas est de cet ordre. Guénon qui avait d'abord lu Aurobindo sur ce point reconnaissait ce que ses propres analyses avaient pu lui suggérer mais cette convergence de vue se dissipa quand il lut d'autres écrits d'Aurobindo (sur ce point nous renvoyons au site internet de Pierre Feuga).

Mais si cette figure n’a pas subsisté dans l’évolution de la manifestation divine, il faut admettre qu’elle manquait en tant que manifestation divine de consistance spirituelle. Aurobindo lui-même estime dans son interprétation des Védas, ces textes sacrés de l’Inde les plus anciens qu’une telle perfection prémoderne n’avait pris corps que localement et qu’il lui manquait un vecteur de réalisation universelle qu’elle a pu trouvée seulement dans le développement de la raison moderne.

Certains nostalgiques du traditionnalisme comme Guénon, Evola ou même Arnaud Desjardins affirmeront que cette interprétation d'Aurobindo reste prisonnière d'une perspective intellectuelle étrangère à la véritable connaissance. Selon eux depuis cet âge d'or, l’absolu se perd toujours de plus en plus dans sa manifestation et le but de la spiritualité est juste d’anticiper personnellement la réalisation de la part d’absolu non manifesté qui par définition ne se perd pas elle-même.

Quant à nous à la suite d’Aurobindo dans Le cycle humain, nous affirmons qu’il faut défaire un modèle de manifestation pour en manifester un autre plus dense encore en terme de présence de l’absolu. La dégénerescence traditionnaliste due au conservatisme sacerdotale et à l'égocentrisme guerrier et le passage à la modernité qui voit la classe des marchands prendre les devants peuvent être interprétés comme le lent processus de destruction du modèle prémoderne de perfection spirituelle d'une conscience mentale avant la réalisation d’un nouveau modèle véritablement universel de perfection préparant l'évolution de la conscience au delà du mental comme auparavant elle avait dépassé dans l'évolution le vital émotionnel ou le physique pulsionnel.

Les limites du modèle d'organisation hiérarchique ou holarchique sont selon nous les limites mêmes de la conscience mentale. La perfection et l'apogée de la conscience mentale aboutit à une organisation sociale hiérarchique. Mais une hiérarchie reste toujours limitée à certaines logiques, les hiérachies holarchiques sont obligatoirement menacées dès lors qu'il faudrait y intégrer des logiques à l'infini. Ce que nos penseurs intégralistes Wilberiens n'ont pas bien entendu dans le message de Sri Aurobindo est que la pensée intégrale aboutit forcément à la conclusion qu'aucune pensée ne peut tout intégrer. Le réel n'est pas rationnel et le rationnel n'est pas le réel car il y a une infinité d'approches logiques possibles qu'il est impossible de combiner en un seul raisonnement, en une vision holarchique. La vision intégrale nécessite de dépasser radicalement la pensée mentale pour avoir de la consistance. Si l'évolution consciente de la conscience de l'âme est une réalité, la pensée mentale authentique ne sera un jour qu'une forme d'expression instrumentale d'une vision intégrale qui deviendra forcément intuitive avant de peut-être devenir surmentale puis supramentale comme Aurobindo cherche à le suggérer (N.B : Wilber utilise ces termes mais fait de sérieux faux-sens et contresens quant à leur signification chez Aurobindo comme Rod Hemsel le montre ; l'ancien article Wikipédia sur Aurobindo détaille le sens du terme supramental et redirige vers l'article de Rod Hemsel) .


CONSEQUENCE 1 SUR LE PRINCIPE DU GURU. RAISONS DE LA SUPERIORITE DU MODELE SOCRATIQUE D'EVEIL.



Socrate


a) - L'erreur de diagnostic sur le niveau 3 (rouge) : l'ignorance du rôle du principe d'individualisation dans l'apogée de la conscience mentale.

Le niveau d'évolution de la mentalité guerrière égocentrique par delà le stade tribal tel qu'il est décrit dans le tableau d'évolution des mentalités est selon nous plus issu d'une dégénerescence d'une société tradionnaliste hiérarchique que sa source. Si on prend au sérieux l'existence d'un âge d'or de l'humanité où une société aurait été constitué d'une hiérarchie de part en part imprégnée de spiritualité, il faudrait plutôt envisager l'existence de héros aussi mystiques que guerriers. Ceux-ci auraient amené des tribus à s'unir voire à s'effacer dans la constitution de hiérarchies. Dans cette période de constitution les hiérachies les plus performantes auraient été celles où les dynamiques spirituelles et guerrières auraient connu la plus forte convergence de cristallisation. Ces cristallisations n'auraient rien eu d'égocentrique. Le sommet de l'évolution mentale aurait été atteint parce que le mental aurait été étendu grâce à une lumière intuitive qui lui aurait été transmise par un langage symbolique.

Le jugement négatif des wilberiens sur le niveau rouge est monnaie courante. Bien sûr, un wilberien remarquera que l'égocentrisme guerrier est une étape nécessaire pour dépasser le confort tribal et aller vers une conscience ethnique. Mais dans ses analyses il s'empressera de pointer les nuisances de cette mentalité dans nos sociétés. Il accusera la mentalité verte (niveau 6) qui prône le respect des différences de ne pas voir combien son discours ne résoud absolument pas les nuisances de cette mentalité rouge. N'oublions pas que ce schéma d'évolution des mentalités est le fruit de penseurs des Etats-Unis comme Graves ou Don Beck où il y a tout de même plus d'une soixantaine de meurtres par jour pour environ 300 millions d'habitants ce qui reviendrait par exemple en France à une douzaine de meurtres par jour (c'est malheureusement presque notre moyenne de morts par accidents de la circulation).

L'intérêt de l'approche d'Aurobindo est bien de synthétiser quelque chose des nostalgiques de la société prémoderne qui parle de dégénerescence fatale de la manifestation avec quelque chose des penseurs de l'évolution et du progrès. Les intégralistes wilbériens tombent exactement dans un travers anthropologique que dénonçaient Aurobindo : ils regardent les diverses mentalités en présence comme des reliques du passé sans voir qu'elles sont pour beaucoup d'entre elles le fruit d'une dégénerescence. Et pourtant nul n'ignore que par exemple le stade ethnique Maya a reflué et que ceux qui s'étaient mis à vivre en cité sont retournés vivre dans la jungle en petites tribus. Le meurtrier des ghettos américains a pourtant des ancêtres qui avaient eu un sens ethnique... Cette dégénerescence d'ailleurs fût encore plus nette dans nos propres banlieus où un retour à des mentalités tribales ou guerrières s'est effectué malgré des ancêtres qui avaient appartenus à des empires...

Dans notre approche, ce sont bien de fortes individualités qui ont permis la mise en place de hiérarchies spirituelles à l'apogée de la conscience mentale. Le niveau 3 tel qu'il est envisagé par les wilberiens ne correspond pas pour nous à la réalité. Ce que les intégralistes wilbériens ne voient pas est qu'ils risquent d'être des nostalgiques de l'âge d'or de la conscience mentale alors qu'ils pensent être à la pointe de l'évolution : l'holarchie est une hiérarchie baignée de spiritualité et au service d'une exploration spirituelle ouverte. Les intégralistes n'ont-ils pas réduit un peu vite les découvertes des structuralistes français des années 1960 aux limites d'une mentalité collective affirmant la valeur équivalente des différences : il faut prendre au sérieux les argumentations structuralistes qui ont souligné combien la rationalité était une expression d'une conscience mentale qui s'est crue supérieure aux autres formes de pensées alors que par ses structures elle restait proche de l'expression symbolique de la conscience mentale. Intégrer le structuralisme qui a mis en cause l'idée de progrès dans la conscience mentale depuis l'émergence de la pensée symbolique peut se faire par contre aisément en compagnie d'Aurobindo. En effet lui rend compte du fait que depuis l'âge d'or nous n'avons fait qu'explorer de diverses façon la conscience mentale et que notre époque doit comprendre qu'au sens spirituel, elle est celle du dépassement de la conscience mentale.

b) - Pour une éducation psychique au service de l'émergence universelle d'une consciente individualisée du principe d'individualisation divine.

L'approche socratique de l'éveil psychique nous paraît donc aujourd'hui la plus légitime et la moins risquée. Le passage de la conscience mentale à une éventuelle conscience supramentale n'est possible que pour des êtres humains qui auront pris conscience de leur principe divin d'individualisation en eux.
La critique du principe d'autorité émise par la raison doit donc être complétée dans l'éducation par une sensibilité accrue à une prise de conscience de la dimension profondément et authentiquement individualisante de toute conscience humaine.
Dans les milieux spirituels, on préférera en ce sens les messages qui intégre l'idée d'un dépassement de l'ego et non pas d'une focalisation sur sa destruction. Certes pour dépasser il faut parfois rejeter mais il s'agit de vraiment se soumettre au principe divin d'individualisation qui est vraiment notre "devenir soi-même". De fait l'histoire montre que bien des egos n'attendent que le confort de la soumission à une autorité extérieure à leur principe divin d'individualisation pour survivre dans leur petitesse sûrs de leur valeur spirituelle : renoncer au narcissisme postmoderne peut n'être qu'une dégénérescence de l'égo ver une mentalité hiérarchique traditionnelle. Si on parle de destruction de l'ego, il faut avoir surtout en vue la destruction de l'ombre de personnalité qui empêche notre vraie personne de gouverner les plans mentaux, vitaux et physiques mis en jeu dans notre individualisation. Selon nous, la prise de conscience de dimensions cosmiques ne sera pleinement utile dans notre évolution que si la dimension de notre humanité qui seule est réellement ici pour évoluer émerge. Nombre de promesses d'une conscience cosmique
dans l'offre spirituelle contemporaine ne sont que des illusions même si à l'évidence il se passe quelque chose : ce ne sont que des entités et des flux de conscience vitaux projetés au travers de notre conscience, l'ignorance de l'évolution cosmique prédomine... Ainsi en ce qui concerne notre contribution à l'évolution, le principe d'individualisation nous semble un accès plus sain à explorer pour y découvrir un élan cosmique évolutif d'individualisation à la fois Un et multiple.
Les éducateurs et les éveilleurs devraient donc porter attention à ne pas blesser l'authentique individualisation des personnes qu'ils ont en charge et bien plus ils devraient découvrir en eux de plus en plus cette dimension pour la respecter et favoriser ce qui peut la faire grandir chez les autres.
Les Gurus qui proposent telle méthode spirituelle, qui restreignent les techniques utilisées, qui n'individualisent pas leur aide, etc. sont donc de bien mauvais gurus, même si parfois un mauvais guru s'avère un meilleur éveilleur qu'un maître bien attentionné pour tel individu dans son développement spirituel et psychique.
A vrai dire, il est de la responsabilité de celui qui entreprend une évolution consciente de la conscience de ne pas se décharger des questions strictement individuelles que pose une telle quête. En outre s'il y avait un authentique Guru humain, il ne verrait dans sa fonction qu'une concession transitoire, il appellerait ceux qui se proclament ses disciples à apprendre à voir le divin en eux, au fond de ce par quoi ils sont authentiquement individuels. Il serait un Guru, un maître de vie, non pas tant pour les méthodes et les enseignements extérieurs mais pour l'influence favorable exercée directement au niveau de l'évolution de la conscience des dimensions individuelles, universelles et transcendantes de ses compagnons. C'est la position que Sri Aurobindo et Mira Alfassa prirent à l'égard de ceux qui se voulurent leur disciple.
A vrai dire celui qui serait capable d'une telle influence n'aurait aucune envie d'être regardé comme un maître de vie qu'on adore et de qui on pourrait recevoir des grâces et un bien-être, il souhaiterait avoir affaire à des rebelles à tout système mental qui paradoxalement reconnaissent en eux des pareils dont la rébellion a plus de grandeur. Ou bien encore, il souhaiterait avoir affaire à des penseurs intégralistes authentiques qui commencent à apercevoir sincérement les limitations de la conscience mentale et qui apprennent à se servir de l'influence spirituelle de ceux qui les précèdent pour accélérer en eux le dépassement des limites mentales. Mais à vrai dire ces disciples là ont une telle exigence de liberté individuelle, ils se sont tellement individualisés à la lumiére de leur authentique principe d'individualisation qu'il ne leur est plus nécessaire de désigner qui que ce soit sous le vocable de Guru hormis la lumière de leur propre intériorité qu'ils voient briller aussi ailleurs et en particulier dans le coeur de ceux qu'ils reconnaissent comme leurs prédécesseurs. Dans le vocabulaire sanscrit, en ce sens, le terme Upaguru désigne les manifestations secondaires du Guru authentique : aucun être humain ne peut incarner le Guru authentique à moins peut-être d'accéder à une conscience matérielle supramentale et encore... car il faudrait que cette conscience supramentale englobe tous les aspects de la vie dans sa globalité.
Satprem, qui se dit le disciple de Mère et à travers elle de Sri Aurobindo propose dans Sept jours en Inde un raccourci qui résumera nos subtilités mentales : La vie seule dans sa globalité est le Guru.


CONSEQUENCE 2 : LA SPIRALE DYNAMIQUE REINTERPRETEE A LA LUMIERE DE NOTRE LECTURE D'AUROBINDO.

On pourrait proposer une première version du modèle de spirale dynamique révisée à l'aune de notre réflexion inspirée par Socrate et Sri Aurobindo mais s'inscrivant encore dans la droite ligne des penseurs intégralistes comme Ken Wilber, Don Beck ou Steve Mcintosh.

VERSION 1 :


Nous incluons donc des nuances importantes par rapport à la Spirale dynamique. Nous distinguons deux qualités de systèmes ethniques : une conscience ethnique hiérarchique (voire holarchique) précéderait un modèle ethnique traditionnaliste où les guerriers supplanteraient au final les hommes authentiquement spirituels appelés à exercer leur talent en hors caste respectueux d'une caste ecclésiastique purement symbolique du spirituel car vidée de toute dynamique exploratrice.
Le niveau 3 ou rouge des guerriers égocentriques seraient selon nous plutôt celui des héros à la fois mystiques et guerriers dynamisés par des intuitions symboliques et qui ont aboutit à la naissance de hiérarchies authentiques comme ce fût plus ou moins le cas en Egypte pharaonique ou dans la vallée de l'Indus d'après certaines interprétations historiques contemporaines (Aurobindo) et antiques (Platon).


Mais ce schéma ne traduit pas le repli traditionnaliste qui selon nous sclérosa la dynamique spirituelle d'exploration de la conscience inhérente aux premières sociétés hiérarchiques. Nous proposons donc une autre version plus rigoureuse selon nous.

VERSION 2 (cliquez sur l'image pour la voir clairement) :


Ici la conscience mentale parvient à son apogée quand les mentalités ethniques hiérarchiques de ce que les traditions nomment l'âge d'or sont mises en place. Suite à cela la conscience mentale entre en crise du point de vue spirituel. Les scléroses traditionnalistes se traduisent par le rôle croissant de guerriers égoïstes et l'éviction de la spiritualité dynamique hors de la hiérarchie sociale par une caste sacedotale conservatrice. La rationalité moderne est alors une réaction à la sclérose traditionnaliste mais son caractére positif se met au service des intérêts individualistes économiques ou entend universaliser une culture nationale à l'encontre des autres nations. La science et la technologie qui découlent de la raison servent le développement d'une société bourgeoise, matérialiste et libéral. Les tentatives collectives de contrebalancer cet individualisme donneront naissance au nationalisme romantique prétendument irrationaliste ou faussement universaliste. Une autre réaction donnera un sens nouveau de revendications individualistes qui incluera les classes laborieuses mais il sera rapidement embrigader dans des mouvements totalitaires de masse. Les catastrophes totalitaires du XXe siècle marquent pour des observateurs attentifs la prise de conscience explicite des limites de la conscience mentale. Il s'agit peut-être d'une crise de la raison moderne qui s'est trouvée instrumentalisée par des forces de réaction traditionnalistes dans le cas des fascismes et du nazisme mais dans le cas du communisme nous avons bien affaire à une crise de la raison moderne qui finit par devenir inhumaine. La catastrophe de Tchernobyl comme le reconnaît Gorbatchev, un des protagonistes les plus importants dans la chute du communisme soviétique a été peut-être plus décisive que les goulags aux yeux des dirigeants soviétiques pour accepter l'abandon de cette idéologie.
Les schémas wilbériens d'évolution des mentalités ne nous paraissent pas très convaincants lorsqu'ils entreprennent de comprendre les phénomènes totalitaires :
- comment les situer dans ces schémas où le progrès et l'élargissement de la conscience mentale semblent constants ?
- peut-il s'agir pas seulement d'un retour en arrière à cause du poids de mentalités qui auraient subsistés depuis la mise en place d'un ordre social ethnique ?

L'usage du système hiérarchique totalitaire même s'il invoque volontiers des valeurs spirituelles n'a certes plus un sens cosmique quasi-holarchique et holarchique. Comme Arendt le montre ce sont des hiérarchies que le dictateur met en place successivement les unes par dessus les autres impliquant à un niveau quelconque une destruction quasi-industrielle de la dignité humaine. Il ne s'agit donc pas seulement d'une combinaison des mentalités prémodernes (rouge et bleue) contre la modernité et surtout contre les premiers mouvements de postmodernité. Il s'agit bien d'une dégénerescence absolue du mental. L'expérience de ceux qui ont vécu les camps de concentration nazis comme Satprem lui-même montre que c'est au fond l'humanité de l'homme qui est niée comme si mentalement l'homme créait les conditions même où la conscience humaine mentale devenait insatisfaisante, nécessairement à dépasser...

Notre schéma nous paraît donc mettre en valeur la nécessité d'un dépassement de la conscience mentale. Le mouvement spirituel libre du carcan religieux qui se développe dans les pays occidentaux en marque un premier pas éventuel. Les penseurs modernes voit une lubie dans la constellation New Age. Mais les penseurs intégralistes issus de cette constellation la critiquent assez justement pour qu'elle dépasse les limites de ce qu'ils nomment après Wilber le narcissisme postmoderne ou la boomerite. Les intégralistes dénonce au coeur de leur recherche de bien-être spirituel l'égocentrisme subtil des babyboomers. Les babyboomers sont ceux qui en occident sont nés en grand nombre après la fin de la deuxième guerre mondiale et qui ont joui des progrès technoscientifiques comme aucune autre générération humaine avant eux. Bien entendu parmi eux, certains ont dans leur jeunesse lutté pour plus de justice : ceci a mené à une reconsidération de la place des femmes ou des minorités. Mais parmi ces utopistes peu sont restés actifs de manière aussi convaincante que dans les années soixante et soixante-dix. Les plus lucides ont reconnu qu'il fallait changer soi pour agir plus authentiquement dans le monde. Mais aujourd'hui ceux-là pour la plupart ne cherchent à travers la spiritualité que bien-être et convivialité de proximité.

La pensée intégrale veut proposer des leviers pour agir sur toutes les mentalités humaines pour qu'elles évoluent toutes et qu'enfin la dignité humaine finisse par prévaloir. Cependant nous nous inscrivons par-delà l'analyse des mentalités intégralistes qui reste prisonnière d'une forme de conscience mentale. La conscience mentale doit au final servir selon nous une véritable prise de conscience de la dimension authentiquement individualisante de la conscience, ce qu'Aurobindo appelle la dimension psychique.
C'est cette nouvelle conscience favorisant l'évolution consciente de la conscience qui émergera sans doute au-delà des mentalités intégralistes Wilbériennes ou autres et qui émerge souvent chez celui qui se laisse sincérement transformer par la pensée de Sri Aurobindo, de Mère et de Satprem. Pour cette nouvelle conscience, l'idée de chercher un Guru deviendra spirituellement éculée. Le développement psychique s'il fait face à une ignorance qui l'empêche de grandir ou des soucis trouvera des réponses précises dans le mouvement de la vie. Bien sûr, il peut se trouver un compagnon plus avancé dont l'intransigeance et l'amour sonnent souvent justes mais sa bouche ne sera qu'une des voix de la vie parmi des milliers d'autres. Si l'évolution consciente de la conscience future est fondée sur une psychisation sociale, l'enfant en terme évolutif aura affaire à communauté agissante d'individus psychisés dont les voix petites et grandes se compléteront pour faire grandir harmonieusement sa propre dimension psychique.


CONSEQUENCE 3 : AU DELA DES HIERARCHIES ET DES DEMOCRATIES, VERS UNE ORGANISATION "ANARCHIQUE".

Dans les sociétés prémodernes, les hiérarchies spirituelles avaient un monopole de la chose spirituelle. Certains nostalgiques de ces sociétés comme René Guénon, Julius Evola et même parfois Mircea Eliade soulignent volontiers qu’en leur âge d’or ces sociétés faisaient coïncider le sommet de la hiérarchie sociale et le sommet de la hiérarchie spirituelle. Dans nos sociétés postmodernes, l’ambition démocratique la plus légitime serait de faire basculer tous les individus dans une forme d’intelligence spirituelle universelle.


Pour nous, participer au développement d’une intelligence véritablement universelle en expérimentant une forme d'harmonie entre volonté individuelle et Volonté Divine peut être considéré comme le développement par excellence d’une nouvelle forme spirituelle démocratique. Son développement implique la mise en valeur et le développement de qualités d’intégrité personnelles relevant d’une éthique spirituelle dont les spiritualités passées avaient fournis des esquisses à portée universelle. Mais du fait de l’inégalité spirituelle entre les êtres humains, le développement d'élites d’une éducation et d’une pratique en vue de la Volonté Divine ne nécessite-t-elle pas un retour temporaire du modèle hiérarchique prémoderne dans sa perfection holarchique ? Un nouvel arrivant joignant un groupe pratiquant la recherche de cette Volonté Divine ne devra-t-il pas être guidé sur le chemin d’individualisation qui lui donnera accès à cette nouvelle émergence de conscience collective consciente d’elle-même dans les individus ? Nous pensons que cette façon hiérarchique ou holarchique de voir est inadaptée car le système prémoderne même dans son caractère spirituel le plus parfait empêche, comme nous l'avons vu, la psychisation spirituelle de la conscience mentale de tous les individus qui le compose de par son organisation hiérarchique ou holarchique.


On peut comprendre le passage du modèle hiérarchique ou holarchique à un nouveau modèle organisationnel en faisant une comparaison entre une vision élitaire de l'organisation du corps humain et une hiérarchie sociale holarchique.
Dans un corps humain, il y a des cellules de la connaissance, des cellules de l’intelligence émotionnelle et immunitaire, des cellules sensorimotrices, nourricières et productrices d’énergie et enfin il y a les cellules transporteuses (sanguines) et porteuses (osseuses). Les cellules de la connaissance ont une activité qui est un luxe du corps en vue de laquelle le corps semble s’organiser et évoluer. Les cellules en jeu dans l’intelligence émotionnelle ont elles aussi un caractère luxueux quoique leur proximité avec le système immunitaire les rende moins superflues. Les cellules qui semblent les moins luxueuses en terme de conscience mais néanmoins utiles en terme d’efficacité pour la survie et la croissance corporelle sont les cellules transporteuses et porteuses. A vrai dire les cellules sensorimotrices, nourricières et productrices d’énergie paraissent les plus archaïques et les plus indispensables du point de vue de la survie du tout de la vie cellulaire.
Les cellules de la connaissance peuvent être assimilées à la caste sacerdotale. Les cellules en jeu dans la vie émotionnelle peuvent être identifiées à l'aristocratie guerrière, le système immunitaire mettrait lui en jeu de simples soldats. Les cellules transporteuses et porteuses représenterait la caste financière, commerciale et administrative. Les cellules sensorimotrices, nourricières et productrices d'énergie sont identifiables aux agriculteurs, aux artisans, aux employés, etc.
Le corps semble bien davantage une hiérarchie holarchique puisque le niveau inférieur ne peut être menacé sans que tout le corps soit menacé, un niveau supérieur d'organisation cellulaire nécessite l'existence du niveau inférieur qui y est inclut et transcendé.

Mais d’un autre point de vue chaque cellule a le potentiel quelle que soit sa position holarchique d’exercer d’autres fonctions voire d’introduire dans le corps un certain type d’évolution globale de toutes les cellules.
C’est ce que nous apprennent malheureusement les maladies auto-immunes par exemple et heureusement certains bonds évolutifs. Le lien entre la partie et le tout qu’est l'individu cellulaire se retrouvent sur le plan social. L'organisation cellulaire en évolution n'est donc pas fondamentalement hiérarchique ou holarchique même si nous pouvons constater que certaines cellules peuvent devenir plus conscientes que d'autres car plus malléables.

A vrai dire le modèle du corps organique comme modèle du corps social présente un danger tant qu'on a un regard seulement hiérarchique ou holarchique sur lui et tant qu'on considère qu'aucune cellule ne dispose du droit de faire sécession du corps (faire sécession ne consiste pas à le parasiter mais à le quitter pour éventuelllement participer à fonder un autre corps).
On peut soupçonner ce modèle de mettre encore les individus au service du système d'ensemble et non pas le système d'ensemble au service de l'évolution individuelle. Une holarchie en estimant que l'évolution aura lieu dans la caste sociale la plus élevée qui est soi-disant la plus évoluée ignore qu'une évolution de tout le corps peut être générée biologiquement par n'importe quelle cellule de ce corps. Le système holarchique n'envisage pas clairement une accélération évolutive due à une évolution de n'importe quel individu où qu'il agisse dans le système social.

Si on admet qu'une cellule prend son rôle individuel dans l'organisme du point de vue de l'interaction au sein de l'assemblée des cellules, l'assemblée des cellules aide la cellule à s'individuer et réciproquement l'individuation de la cellule conduit l'assemblée à se réorganiser. C'est la thèse biologique défendue dans Ni Dieu ni gène de Sonigo et Kupiec à l'aide d'expériences scientifiques indéniables. Mais on peut en tirer des conséquences politiques davantage anarchiques qu'holarchiques. Ainsi la vie des assemblées de cellules ne sera pas séparée de son organisation. Nos intégralistes sont parfois capables de cristalliser une communication éveillée mais leurs organisations sont comme extérieures à ces éveils collectifs qu'elles aident pourtant à déclencher. Elles ne prennent pas le risque d'être revisitées par les éveils collectifs qu'elles donnent à expérimenter à ceux qui participent à leurs stages, elles veulent que les individus qui ont connu grâce à elles une forme de conscience collective consciente les servent en s'y engageant.


Des autorités spirituelles authentiques postmodernes voudront que la vie gagne en souplesse organisationnelle en développant chez tous les individus de toutes les nations une intelligence intuitive rationnelle universelle de plus en plus « organique ». Ces autorités spirituelles postmodernes authentiques auront de plus en plus elles-mêmes une organisation hyperdémocratique voire anarchiste au sens d’une organisation où le pouvoir est vraiment partagé. Car de ce point de vue, une autorité est d'autant plus légitime qu'elle parvient à partager le pouvoir que lui confère sa connaissance de l'évolution de la Conscience sur les plans individuel et collectif.

Contrairement aux mentalités modernes qui n’apprécient que le talent de s’enrichir ou le brillant intellectuel technoscientifique surtout lorsqu’il est au final reconnu socialement et économiquement, il y aura, quand ce sens "anarchiste" de l'organisation collective l'emportera, l’approfondissement d’une qualité de reconnaissance réciproque spirituelle si bien que les positionnements spirituels ne seront plus vraiment liés à la force de réalisations de nos pulsions animales perverties (sexe, pouvoir, argent). En effet les positionnements hiérarchiques prémodernes ou modernes demeurent bestiaux tant qu’il s’agit d’une lutte guerrière à mort ou d’une lutte économique prétendumment policée pour la possession des biens.

Imaginons que les âmes ne soient pas qu’une hypothèse et qu’elles soient bien le fruit individualisé d’un principe d’individualisation à l’oeuvre dans l’évolution de l’univers. Nous pouvons alors penser que nos âmes individuelles ont des parcours évolutifs individualisés tout autant qu’universels. Pour que nous incarnions collectivement un sens vivant des organisations humaines, toute prise de position hiérarchique ou holarchique non fondée sur des pulsions animales deviendra de de moins en moins fixes et s'inventera des systèmes enchassés où il y aurait non pas une seule tête holarchique mais plusieurs au sein d'un réseau unique. L’un situé au départ plus haut dans le positionnement d'une holarchie spirituelle n’hésitera pas à transmettre à l’autre d’abord situé plus bas une réalisation spirituelle qui lui permettra au final de se situer plus haut que lui dans ce positionnement ou sur un autre plan qu’il ne connaît pas lui-même et qu’il pourra alors découvrir en retour. Car dans ce positionnement de l’autorité spirituelle l’enjeu final est que toute l’humanité ne cesse de croître globalement dans l’évolution de la conscience désormais surmentale. Il ne s’agit plus de défendre sa place dans une hiérarchie humaine comme ce fût le cas dans les systèmes prémodernes et modernes. L’usage de la connaissance ne servira plus un sens bestial de la domination. Le mode émotionnel collectif d’expression des postmodernes authentiques est l’amour des réalisations spirituelles, l’amour de la "divinisation" des individus humains.

On peut ici reprendre l’analogie avec les cellules du corps. Dans l’épigenèse et donc dans l’évolution organique d’un corps, il ne s’agit pas d’une organisation hiérarchique à ramifications multiple qui sépare les inférieurs entre eux et les infériorise vis-à-vis de supérieurs en terme de domination animale… Seul un corps cancéreux ou atteint de déficiences auto-immunes a de tels comportements. Mais il ne s'agit pas non plus d'une holarchie au sens wilberien malgré son idée d'inclusion et de transcendance des niveaux inférieurs. Car l'apparition d'un nouveau plan ne se contente pas d'inclure les organisations cellulaires anciennes, elle les renouvelle et il n'est pas exclu que deux nouveaux plans ne s'inclut pas et ne se transcendent pas même s'ils incluent et transcendent chacun les organisations cellulaires anciennes. Ces deux plans cependant coexisteront dans le corps puisque si le système immunitaire fonctionne, il reconnaîtra des cellules agissant au service de l'ensemble du corps. Bien sûr au final le corps agira comme une synthèse de ces deux plans irréductibles mais les deux plans demeureront la source de l'interaction sans que l'interaction soit un nouveau plan qui inclut et transcende ce qui précède.

Ainsi dans le concert des nations qui seul peut produire un internationalisme respectueux des diversités culturelles, il s'agira d'une assemblée où chaque nation sera respectée dans son individualité mais dans sa constitution spirituelle certaines nations auront un rayonnement holarchique. C'est un monde de plus en plus multipolaire où des rayonnements holarchiques s'entrecroiseront de plus en plus qui engendrera un véritable concert des nations conscient pour chaque nation au point où la dimension la plus individuelle de chaque nation s'avérera sa vocation universelle au service du concert des nations. A ce sujet le modèle holarchique en se démultipliant de façon entrecroisée laissera place à une forme de Volonté Générale où chaque volonté nationale constructive d'une humanité future est intégrée et non plus discutée et amendée par les autres nations. Ce modèle de Volonté Générale correspond mieux selon nous à l'évolution qui souligne l'importance de la dimension individuelle que le modèle holarchique. Dans une telle assemblée les âmes les moins avancées n'empêcheraient plus les plus avancées d'incarner leur volonté et les plus avancées sauraient entendre une individualité pertinente pour l'action collective des moins avancées. La Volonté Générale ainsi repensée parce qu'elle exige l'individualité pour fonctionner peut parfaitement respecter les différences évolutives et donc certaines inégalités si on prend telle ou telle perspective holarchique mais sans jamais minorer le respect du caractère individuelle de l'évolution.

Ces nouveaux mode de connaissance propres à une telle organisation future devront bien sûr avoir un appui économique et technologique tant que l’espèce humaine sera dépendante de la nourriture, des rigueurs climatiques, de systèmes technologiques permettant de maîtriser l’espace d’une biosphère et le temps lorsqu’il fait son œuvre de destruction sur le corps. Mais si ces modes de connaissances sont d'authentiques évolution de la conscience, d'une part, ils ne justifieront plus aucune sorte de prédation des biens communs et d'autre part ils pointeront les limites d'une conscience mentale technoscientifique. Car selon nous la crise écologique majeure que nous connaissons est à la fois un symptôme de la raison moderne qui sert malgré l’espoir des Lumières un esprit bestial prédateur mais aussi elle montre une dimension d'ignorance inhérente à toute démarche technoscientifique vis-à-vis de l'évolution.

Du point de vue de cette évolution, la richesse ne serait donc plus à terme évaluée par l’argent mais par le fait que chaque individu existerait vraiment consciemment au niveau d'une la Volonté Générale universelle créatrice ayant par là une puissance d'échange sans borne. Lorsque le règne de l’évaluation chiffrée monétaire typique du règne de la raison moderne sera en voie d’être aboli, chaque individu se verra enfin reconnu existentiellement en recevant de la nourriture, des biens matériels garantissant sa santé et sa participation effective à l’évolution de la conscience. Bien sûr, une participation au bien collectif sera exigée de lui… Il ne s’agira plus de gagner sa vie, elle sera assurée par le collectif (en ce sens un Revenu Minimum d’Existence serait un progrès social) mais il s’agira de participer à l’évolution créatrice humaine et universelle en évoluant individuellement dans son action créatrice (la valeur travail n’aura donc plus de sens relativement à l’idée de gagner plus mais aura un sens relativement à une évolution créatrice devenue consciente individuellement et collectivement). Il est à noter que, paradoxalement, plus quelqu’un sera avancé spirituellement dans sa participation à l’évolution de la conscience humaine, moins il aura besoin d’appui matériel économique et technologique pour avancer. Par exemple, il usera de moins en moins de biens personnels préférant partager de plus en plus des biens communs. La décroissance matérielle qu’exige la crise écologique majeure que nous traversons trouverait là peut-être son sens évolutif.



BILAN PROSPECTIF.


Le mental à travers son évolution rationnelle a surtout servi l’individualisation des consciences humaines et des nations. L’universalité rationnelle a toujours été le fruit jusque là d’un processus d’universalisation d’une forme d’individualisation égocentrique. Le mental peut selon nous évoluer jusqu’à un domaine où il serait directement l’expression instrumentale d’une intelligence universelle, un mental de Lumières intersubjectif participant à une individualisation psychique ayant une relation consciente avec le principe d’individualisation à l’oeuvre dans l’univers. L’organisation évolutive d’un mental de Lumières intersubjectif (l’autorité véritable plus que n’importe quelle autorité humaine) doit permettre au corps (social) d’acquérir un mental de Lumières pour chacune des cellules individuelles. Cette organisation mentale supérieure se révélerait l’instrument d’une intelligence plus profonde, celle d’une intelligence organique évolutive des cellules individuelles d’un corps social. Elle serait l’instrument d’une dimension psychique universelle et individualisante derrière les tentatives individuelles qui avaient grandi de vie en vie n’atteignant au mieux jusqu’ici que la constitution d’égos rationnels prisonniers de leur égocentrisme.