mercredi 17 mars 2010

MOI, L'EVIDENCE IMPENSABLE. MOI SUSCITANT CHOSE ETENDUE ET CHOSE PENSANTE. Douglas Harding * Stephen Jourdain. Episode 3.

Autrefois si on me demandait de me représenter moi face à un autre, je dessinais ceci :

Mais ce dessin supposait un point de vue extérieur d'une troisième personne, ce n'était pas mon point de vue. Voici ce qu'est vraiment mon point de vue face à un autre :

J'entrevois mes pieds, je vois mes mains, le revers de ma casquette (si j'en porte une) et l'autre qui apparaît dans mon champ de vision. Je me rends compte que mon point de vue mental de ma rencontre avec l'autre comme face à face est en contradiction avec l'autre apparaissant dans le champ des perceptions devant une absence de face :


Voici donc mon portrait en première personne lorsque je ne me laisse pas égarer par mes représentations en troisième personne :

M'inspirant de Descartes, je peux distinguer donc deux types de choses dans mon esprit : la chose pensante et la chose étendue.
Puis-je avoir confiance en la pensée ? Ne m'a-t-elle pas convaincu que je rencontrai les autres en face à face occultant un point de vue en première personne où les données de la perception sont en totale contradiction avec elle ?

La chose pensante est certaine plus que la chose étendue. Je pourrai rêver la chose étendue, elle pourrait en quelque sorte être une projection de la chose pensante.

Mais ce doute à l'égard du monde, d'autrui et de mon corps qui sont des sensations apparaissant dans la chose pensante est-il fondé ?
Je vais considérer une situation où quelqu'un par mégarde m'a blessé d'une flèche dans la cuisse. Peu importe semble-t-il que je me représente la situation en troisième personne ou en première personne, n'ai-je pas mal ? N'est-ce pas moi qui pense avoir mal qui ai mal ?
Regardons ceci de plus près. La pensée "j'ai mal" pointe la douleur associée à la sensation étendue de ce que je nomme ma cuisse. Mais à vrai dire la pensée "j'ai mal" a-t-elle mal ? La pensée "moi" s'indique elle-même dans le tissu de la chose pensante tout en signifiant une sensation de douleur dans la cuisse et il semble que ce mécanisme de significations m'amène à être convaincu que "j'ai mal" est vrai.
A vrai dire, qui suscite le contenu de pensées "moi" et "j'ai mal" qui s'ensuit ? Qu'est-ce qui suscite la chose pensante où l'activité d'une pensée moi pensant d'autres pensées prend place ? Est-ce que le mouvement de la pensée "j'ai mal", qui s'auto-signifie pour affirmer de façon convaincante "j'ai mal est vrai", ne finit pas par occulter ce qui permet de susciter la chose pensante ?

Imaginons que nous évitions l'auto-signification de la pensée qui au fond réduit notre expérience de la conscience à la pensée moi. Imaginons qu'effectivement nous prenions conscience que la pensée "moi, j'ai mal !" ne puisse pas avoir mal : alors la pensée "cette douleur est insupportable pour moi" serait toujours vue comme une bulle d'hallucination qu'on ferait éclater d'un acte de conscience. Comment le moi pensant pourrait-il subir une douleur insupportable puisqu'en soi le moi pensant n'est pas de la même substance que la sensation de douleur ? Penser d'ailleurs que la douleur m'est insupportable n'est-ce pas admettre qu'il demeure un espace où l'intensité de la douleur aussi puissante qu'elle soit n'abroge pas l'espace pour le commentaire et l'interprétation ? La chose pensante n'est sans doute pas du même ordre que la chose étendue.
Mais l'une colle à l'autre à O cm au sens littéral et par le jeu d'auto-signification se mêlant à celui de la signification nous pensons sentir au coeur même de la pensée. Nous nous identifions par la pensée aux sensations du corps sans voir que nous les interprétons sur un autre plan. Mais il reste toujours la question de savoir d'où émerge la chose pensante et la chose étendue :
Nous pourrions peut-être avoir une meilleure idée de ce qui suscite chose pensante et chose étendue en considérant l'idée d'infini :
Lorsque je pense à la chose la plus grande que je puisse penser j'ai l'expérience d'un débord de la chose pensante, j'entrevois par l'idée d'infini que la chose pensante qui comprend mon moi pensant et le tableau où s'écrivent mes pensées est un tableau fini. Mais ce n'est plus un moi pensant qui voit, c'est moi percevant/suscitant moi pensant et la chose pensante où moi pensant pense s'activer.

En ce sens Stephen Jourdain écrit en préface à L'infini au fond de nous de Roger Quesnoy :

"Par l'imagination, découvrez au laser un petit rond au centre de votre esprit. Faites sauter la pastille du moi coutumier. Puis, pensez à l'infini. L'infini. Pas facile. A un moment un choc diaphane, une fugitive dilatation de l'âme vous avertira que votre intelligence a été émue, qu'elle a vu. Avant qu'elle ne se fane, insérez la vision dans le vide central.
Vous voilà serti d'infini. Aucune incompatibilité de principe avec la vie de tous les jours. Simplement une situation inédite assez hallucinante."

Si on suit Stephen Jourdain en partant de la vision sans tête de Douglas Harding, n'arrive-t-on pas à ce genre d'état décrit dans le dessin suivant ?
Autrement vu en distinguant le plan de la pensée et le plan des sensations, le schéma suivant ne rendrait-il pas compte d'un surgissement de la pensée d'une part et de la sensation d'autre part d'un seul et unique acte pur de conscience les englobant :
Je suis l'acte pur conscient où le monde de la chose étendue se voit renouveler tout de suite maintenant. Sans tête, pur espace, pure présence où émerge maintenant le plan des sensations qu'aucune pensée ne peut plus arranger pour qu'un moi pensant prétende à l'ultime réalité.

Tout d'un même maintenant, "Je suis" acte pur conscient qui suscite la chose pensante, le moi pensant et ses pensées sur le tissu de la chose pensante. Conscient de ce que je suis, je ne suis pas cette pensée de moi qui sourd de moi, je sabre toute esquisse d'auto-signification qui surgirait dans la pensée afin que toujours plus profondément elle demeure mon symbole et s'enchante du sens reçu dans la conscience omnidirectionnelle que je suis.


Et lorsque je sabre la pensée qui s'évertue à sabrer les autres tout en clamant son innocence, c'est depuis l'acte pur de conscience d'où sourd chose pensante et pensée. N'y aurait-il pas des réalités préverbales qui mettraient en place la pensée ? Le Voir de plus en plus libéré des pensées et donc un peu plus raffiné (peut-être car il est ni plus ni moins le même et unique Voir sans tête), les paroles qui s'énoncent font écho à des tâches de chose pensante sur un tissu vitreux. Et puis souvent il ne s'agit pas seulement de ces tâches en deux dimensions sur le tissu discret de la chose pensante qui permette à la parole de ne pas perdre son fil, il y a aussi comme des ébullitions colorées (et sonore ?).

On en rencontre des équivalents un peu partout dans le tissu de la conscience, ils sont là ces bulles, ces serpentins, ces spectres, ces réverbérations qui mettent en place telle atmosphère, telle saveur, telle idée.

Qu'est-ce que c'est que cela ? Sabrons la question, sabrons la pensée qui prétend la sabrer en y apposant le silence transparent du Voyant sans tête. "Je suis" est alors parfois la pensée verbale qu'émet une lunule de pensée déposée par un choeur d'anges émergeant du Voyant sans tête physique et mentale. Le Voyant sans tête reste hébété de savoir : il sait se sachant déjà tout cela et au-delà de tout cela à même cela sans toujours savoir très bien tout ce qu'il sait. Un voile d'inconnaissance tombe et le voici tout plein d'anges et de fées. D'autres voiles tombent et c'est plus hallucinant encore, une petite fille inconnue court vers Ici avec un dessin, des ailes d'avion sont des ailes d'oiseau et un store blanc sur un immeuble noir scande les Regulae ad directionem ingenii (Les Règles pour la direction de l'esprit de Descartes). Les voiles reviennent : la créature proteste et regrette les visions passées mais cela revient à mieux trahir le Voyant lumineux qui la fait être.
N'est-ce pas cependant le beau risque encouru de confier à la subjectivité, moi, la créature le soin d'exprimer par le cri d'un "JE" irréel la vraie Vie intérieure, celle du seul Voyant, l'impensable plus moi que moi-même ?

jeudi 4 mars 2010

MOI, L'EVIDENCE IMPENSABLE. Episode 2. QUEL EST SON MAINTENANT ? ENTRE ECKHART TOLLE, STEPHEN JOURDAIN ET DOUGLAS HARDING.

LES PIECES DU DOSSIER.


Dans Le pouvoir du moment présent, Eckhart Tolle écrit :

"Chapitre III : Plongez dans le moment présent
La clef pour entre dans la dimension spirituelle...

Dans les situations où la vie est mise en jeu, ce basculement de la conscience du temporel à la présence se produit naturellement. la personnalité qui a un passé et un futur, s'efface temporairement pour être remplacée par une intense et consciente présence, à la fois très calme et très alerte. Les gestes posés pour répondre à ces situations naissent de cet état de conscience.
la raison pour laquelle certaines personnes aiment prendre part à des activités dangereuses, comme l'alpinisme, la course automobile et autres, c'est que cela les oblige à être dans l'instant présent, même si elles ne sont pas conscientes de ce fait. Ces activités les amènent dans cet état intensément vivant qui est libéré du temps, des problèmes, de la pensée et du fardeau de la personnalité. Oublier ne serait-ce qu'une seconde le moment présent peut se traduire par la mort. Malheureusement, ces gens viennent à dépendre d'une activité particulière pour retrouver cet état .
[...]

[Mais il n'est pas nécessaire de mettre sa vie en jeu pour connaître cet état de conscience]

Les maîtres spirituels de toutes les traditions font de l'instant présent la clé d'accès à la dimension spirituelle, et ce, depuis toujours.

[...]

L'essence même de la philosophie zen consiste à avancer sur la lame de rasoir qu'est le présent, à être si totalement et complétement présent qu'aucune souffrance, rien qui ne soit pas vous en essence, ne puisse survivre en vous. Le temps étant ainsi absent, tous vos problèmes se dissolvent. La souffrance a besoin du temps : elle ne peut survivre dans le présent.
Le grand maître zen Rinzai avait souvent l'habitude de lever le doigt et de poser lentement la question suivante à ses élèves pour les obliger à se détourner de l'attention qu'ils accordaient au temps : "En ce moment que manque-t-il ?"
C'est une question puissante, qui exige une réponse ne provenant pas du mental. Elle est conçue pour ramener votre attention profondément dans le présent.

[...]

Comment se défaire du temps psychologique...

Apprenez à utiliser le temps dans les aspects pratiques de votre vie - on pourrait appeler cela "le temps-horloge"-, mais revenez immédiatement à la conscience du moment présent quand les choses ont été réglées. De cette façon, il n'y aura aucune accumulation de "temps-psychologique", qui est l'identification au passé et la perpétuelle projection compulsive dans l'avenir.

Le "temps-horloge" [ce peut être : ] la prise de rendez-vous, la planification d'un voyage, [...] tirer les leçons du passé afin de ne pas répéter sans arrêt les mêmes erreurs. Se donner des objectifs, et les poursuivre. [etc...]
Mais même là, dans le cadre des choses pratiques, où nous sommes obligés de nous référer au passé et au futur, le moment présent reste le facteur essentiel. Toute leçon tirée du passé devient pertinente et est appliquée dans le "maintenant". Toute planification ou tout effort pour atteindre un objectif particulier s'effectue dans le "maintenant". Même si la personne illuminée maintient toujours son attention dans le présent, celle-ci est tout de même consciente du temps à la périphérie. Autrement dit, elle continue à se servir du "temps horloge" mais est libérée du "temps psychologique".

Quand vous vous exercez à cela, soyez attentif à ne pas transformer involontairement le "temps-horloge" en "temps psychologique".
Par exemple, si vous avez commis une erreur dans le passé et en tirez une leçon maintenant, c'est que vous utilisez le "temps horloge". Par contre, si vous revenez mentalement dessus sans arrêt, si vous vous critiquez et éprouvez des remords ou de la culpabilité, c'est que vous êtes tombé dans le piège du "moi" et du "mon".
Vous assimilez cette erreur au sens que vous avez de votre identité et elle appartient alors "au temps psychologique" Ce dernier est toujours lié à un sens de l'identité faussé. L'incapacité à pardonner se traduit automatiquement par un lourd fardeau de "temps psychologique".

Si vous vous donnez un objectif et travailler pour l'atteindre, vous vous servez du "temps-horloge". Vous êtes conscient de la direction que vous voulez prendre, mais vous honorez le pas que vous faites dans le moment et lui accordez votre attention la plus totale.
Si vous devenez trop axé sur l'objectif parce que, par lui, vous recherchez peut-être le bonheur, la satisfaction et une certaine complétude, vous n'honorez plus le présent.
Celui-ci se réduit à un tremplin pour l'avenir sans aucune valeur intrinsèque.

Le "temps-horloge" se transforme alors en "temps psychologique". Votre périple n'est plus une aventure, mais seulement un besoin obsessionnel d'arriver quelque part, d'atteindre quelque chose, de réussir. Vous ne voyez ni ne sentez plus les fleurs sur le bord du chemin et vous n'êtes plus conscient de la beauté et du miracle de la vie qui sont révélés partout autour de vous quand vous êtes dans l'instant présent.
§

[Le temps est-il une illusion totale ?]


[...] Quand je dis cela, mon intention n'est pas d'énoncer un principe philosophique. Je vous remémore un simple fait, un fait si évident que vous avez peut-être de la difficulté à le saisir ou que vous le considérez peut-être comme vide de sens. Mais une fois que vous avez pleinement compris la portée de cette affirmation, celle-ci peut traverser, comme la lame d'un sabre, toutes les couches de complexité et de problématiques créées par le mental. Laissez-moi vous répéter ceci : le moment présent est tout ce que vous aurez jamais. Il n'y a jamais un instant dans votre vie qui n'est pas "ce moment". N'est-ce pas un fait ? "

Stephen Jourdain durant une conversation entre lui, Gilles Farcet et Denise Desjardins dans une réédition de L'irrévérence de l'éveil écrit :

"Steve : Il est toutes sortes d'angles d'attaque... Par exemple, la traque magique de l'image mentale « moi ». Quand nous nous reportons à notre moi le plus intime, au moi de notre esprit, nous sommes dans la conviction absolue d'avoir affaire à l'original. Eh bien, cette évidence ment ! C'est immanquablement avec le duplicata que nous commerçons ; avec l'image « moi ». Il fut un temps dans nos vies où cette image était, dans une sorte de subconscience centrale, correctement abordée : comme un symbole ouvrant l'accès à la signification « moi » ; et comme ici le sens et la chose se recouvrent, l'accès à « moi », à ce que nous sommes, était ouvert, et nous étions. Hélas, au tournant de l'enfance, l'image mentale symbolique « moi », à la suite de quelque erreur obscure et tragique, s'est trouvée désymbolisée : il n'est plus resté que la tache mentale. Et dès lors nous nous sommes réduits à la tache, nos âmes s'y sont purement ci simplement abîmées.
Parler de tragédie est un euphémisme. En effet, au final, de quoi s'agit-il ? Destruction du sens, destruction du signe. Destruction de l'Esprit, matérialisation de l'Esprit : on ne peut imaginer pire désastre, ni pire trahison.
Quasiment de la naissance au trépas, un petit objet mental décoloré, blafard, capte notre identité première !
Ceci est l'une des expressions de la Chute dont parlent les chrétiens, à cette différence qu'à mes yeux, l'événement n'a pas de valeur historique, mais uniquement instantanée: actuelle. C'est dans la pointe d'actualité pure de chacun des instants de nos vies, m-a-i-n-t-e-n-a-n-t, que la partie se gagne ou se perd.
Denise : La précision que vous venez d'apporter me semble capitale...
Steve : Il en est une autre, d'égale importance : le maintenant spirituel n'est pas le maintenant terrestre. Cela, personne n'en parle ! Oh, du « now » tous font grand cas ... Parfois, je me demande si cette référence si méritante ne s'apparente pas à quelque chose comme une mode ou un « must ». J'essaye de tempérer mon agacement par cette remarque : après tout, la superficialité ne serait-elle pas une modulation de l'exquise légèreté ? D'ailleurs, qui a décrété que le centre n'était pas à chercher du côté de la surface ? Vive Yves Saint Laurent ! Le « now », c'est adorable. Tu te souviens, Gilles, qu'à La Jolla, Californie, nous avons passé une mémorable soirée en compagnie d'Eckhart Tolle, un type très bien, un grand apôtre du now.

Gilles: Auteur du « Power of Now », best seller traduit en français sous le titre « Le Pouvoir du Moment présent »...
Steve : Voilà ! Un type très bien, donc, d'une laideur toute socratique, et qui avec une ingénuité émouvante a disjoncté face au décolleté de Marie-Claude devant lequel il est resté planté deux heures durant...
C'était très mignon.
Bref, voilà un homme pur, d'une grande finesse et d'une totale intégrité, et qui cependant n'a pas compris que le mot présent n'a pas la même signification sur terre que dans le sein de notre esprit ! L'expérience terrestre saine et sainte - l'Eden mythique - est certes issue d'un acte premier strictement s-p-i-r-i-t-u-e-l, est certes l'enfant de l'esprit pur, mais tirer argument de cette filiation pour confondre ces deux dimensions (ce qui signifierait implicitement qu'on a déjà nié la verticalité de Dieu-esprit, son absolue primauté) serait la marque d'une légèreté si inconcevable qu'elle ne pourrait être inspirée que par... éh oui, Satan.
Il est un maintenant spirituel, et il est un maintenant terrestre. La portée philosophique de cette discrimination, on s'en fiche. En revanche, prétendre pratiquer l'un ou l'autre de ces deux présents en se bouchant les yeux à leur spécificité absolue, c'est déjà s'être condamné à l'échec - comme l'on dit aujourd'hui, à aller droit dans le mur.
Denise : Qu'est-ce que vous appelez le maintenant spirituel ?
Steve : je vous en demande pardon à l'avance, Denise, je vais vous faire le coup du mythique propos liminaire ...
Oui ou non existe-t-il une part immatérielle de nous-mêmes ? Immatérielle, irréductible à tout phénomène spatial, à jamais étrangère à toute manifestation sensorielle ?
Oui ou non existe-t-il une chose telle que l'esprit ?
Oublions les colossales finesses, MES colossales finesses sur la nature romanesque, irréelle, de la vie temporelle de l'esprit (dite psychologique ou intellectuelle) : oui ou non cette part de nous-mêmes que chacun nomme « mon esprit » existe-t-elle ? Je foule aux pieds sans le moindre remords mes vues les plus précieuses, et à la question, réponds OUI.
Et dès lors, Denise, je puis vous répondre.
À n'en pas douter, chaque esprit éprouve le sentiment de se vivre dans un présent. Ce sentiment est l'expression d'une connaissance intuitive (immédiate, non réfléchie), antérieure à tous nos prétendus savoirs sur ce mystère pur qu'est le Temps. Hélas, s'agissant de ce présent propre à l'esprit, notre intuition se montre quelque peu flageolante, et le présent qu'elle révèle manque singulièrement et de densité et de concision ; on le dirait volontiers mou, avachi ou lâche ... Ce crayon là aurait grand besoin d'être taillé. Voeu pieux ? Oh, que non ! À tout moment, le sentiment coutumier de notre présent intérieur peut s'aiguiser au-delà de ce qui est concevable ! Perforer sans prévenir comme une pellicule de peau morte ce que nous estimions être le moyeu vivant de notre être ! Toute la spiritualité de l'esprit - et aussi bien, toute l'humanité de l'homme - se trouve condensée en cette pointe ultime d'un présent spirituel absolutisé. NOUS N'AVONS PAS D'AUTRE DEMEURE.
Mais l'adorable, le chérubinique Eckhart Tolle est-il au courant ?"



TENTATIVES D'ECLAIRCISSEMENT.


Si on comprend bien le propos d'Eckhart Tolle, il s'agit d'éliminer radicalement le temps psychologique.
Le temps psychologique crée un passé et un futur au mépris d'un maintenant non mental perceptif. Si on se maintenait dans le maintenant, en refusant au mental de dire qu'avant c'était mieux ou qu'hier est difficile à supporter ou que demain j'espère ou que ça risque de durer encore trop longtemps, on connaîtrait une acceptation de ce qui est maintenant, on pourrait apprécier ce que la vie nous donne maintenant.

La distinction classique entre voir et penser semble animer Eckhart Tolle. Mais la critique de Stephen Jourdain est sans appel : le temps terrestre a un maintenant qui est confondu par Eckhart Tolle avec le maintenant spirituel.
Cette confusion se voit dans les propos d'Eckhart Tolle lorsqu'il prend l'exemple de l'alpiniste, du coureur automobile ou de toute autre activité qui exige une concentration sur le présent et interdit toute divagation mentale sur une ligne de temps psychologique. Car faire de ce modèle le modèle de son maintenant spirituel induit forcément la confusion énoncée par Stephen Jourdain.

Un individu concentré sur le maintenant terrestre n'a guère déchiré ce qui le sépare de l'acte pur du maintenant spirituel qui précisément liquide toute prétention à une quelconque vérité du concept qu'il s'agisse du concept d'acte ou de maintenant.
Celui qui est concentré sur le maintenant terrestre évite certes les divagations mentales mais si l'opercule mental s'est aminci en un "voir-penser", prendre ce modèle pour le maintenant spirituel demeure un "penser-voir".

Stephen Jourdain dans La bienheureuse solitude de l'âme écrit à ce sujet :

"Mais je ne peux pas "voir-penser" ou "penser-voir". Cela, ça n'existe pas - c'est une monstruosité.

Question : Nous n'avons jamais une vision directe de l'arbre ni d'aucune chose, nous ne savons que voir-penser !
Par contre penser-voir me laisse perplexe. Ca représente quoi ?

Steve : C'est plus subtil à déceler en soi, mais tout aussi grave que voir-penser. Dans ce dernier cas, on surimpose un voile de pensée sur la sensation pure. Dans l'autre, on surimpose un voile de sensation sur la pensé pure."

Eckhart Tolle nous invite à renoncer au temps psychologique ou plutôt à se tenir dans le maintenant qui le laisse tomber comme une illusion dès que sont constatés la souffrance sous la forme des remords, de la nostalgie, de la crainte, du manque, etc. ou les plaisirs illusoires associés à des faux espoirs, à l'excitation, etc. A partir de là, nous le voyons distinguer ce temps psychologique illusoire du temps des horloges. Ce temps là serait un temps sain.
Mais si on suit Stephen Jourdain, ce temps des horloges reste un temps mental, un voir-penser dont il faut percevoir l'irréalité pour véritablement s'approcher du voir d'un acte pur de conscience. Le Temps reste un concept même si il est implicite à toute activité conceptuelle. (Kant en fait une intuition a priori de la pensée consciente). Le maintenant spirituel qui veille d'une veille sans fin n'a rien de réflexif selon Jourdain. Un acte de conscience qui le soutient pour ne pas l'enfouir au coeur du jaillissement mental n'aurait donc rien de réflexif : il n'autorise aucun résidu de temps qu'il soit celui psychologique ou celui de soi disant horloges.

Si c'est une pensée qui me ramène à un maintenant en écartant les pensées anxyogènes ou plus amplement égo-centriques s'enveloppant de passé et de futur, en quoi suis-je libre du mental ? J'ai clarifié le mental, je me suis développé personnellement en tant que troisième personne mais je ne suis pas encore clairement en première personne. Reste une pensée de clarification qui recouvre le pur Voir. Ce que je suis en tant que personne demeure encore une petite présence sur le tableautin mental qui n'aperçoit pas ce qui la symbolise : la première personne source du Voir. Le secret du double fond fondamental de mon esprit n'a pas été découvert. La fouille reste incomplète. Il y a des jeux de significations qui augmentent considérablement l'impression de vitalité mais il n'y a pas un acte de conscience qui en révèle l'acte pur.

LA VISION EN PREMIERE PERSONNE SELON DOUGLAS HARDING ECHAPPE-T-ELLE A LA CRITIQUE DE STEPHEN JOURDAIN ?

M'ouvrant à partir de la vision en première personne proposée par Douglas Harding, il y a une lumière intérieure, celle de la transparence du champ d'apparition (la vacuité ?) bordée d'un voile d'inconnaissance et d'un presque rien de la conscience. Demeure dans cette transparence la présence subjective d'un petit moi. C'est juste une lunule de pensée mais qui peut à tout moment transformer le voir en voir-penser puis en penser-voir revendiqué comme un voir. L'intériorité de la vision en première personne se distingue de ma subjectivité mais le flou demeure encore sur ce qui relierait fondamentalement ma subjectivité à mon intériorité. Une part d'ombre demeure encore que précisément Stephen Jourdain dit éclairer.

La lumière intérieure, cette transparence est un acte pur en première personne qui suscite tout ce qui apparaît. Tous les actes à côté de cet acte unique en première personne sont des reconstitutions mentales entre une ou des intentions mentales subjectives et la représentation mental subjective d'un fil des actes en relation à cette ou ces intentions. Cet acte pur de la lumière intérieure en première personne est donc caractérisé en tant qu'acte pur par son im-médiateté radicale. Ce n'est pas une pensée de présent, c'est l'être-là hors du temps d'où surgit en rythme ce que la pensée trame en tant que temps.

En effet du côté de ce que pointe le doigt vers ce qui voit, y a-t-il une quelconque indication de temps ? Peut-on y distinguer un avant et un après ? Ce que pointe ce doigt met entre parenthèse la lunule de la pensée, le présent qu'il pointe ne s'inscrit plus du tout entre un passé et un futur. C'est un présent atemporel qui est pointé. Prenons maintenant en compte le double pointé à la fois vers le pur présent sans forme et donc éternel et ce qui y devient dans la forme. N'est-ce pas alors un rythme qui joint les formes du Devenir et de l'Être ? Ce rythme n'est-il pas comme un retour de l'acte pur d'Être sur lui-même ? Mais d'autre part, cet acte pur de la lumière intérieure en première personne n'est même pas sa propre cause puisqu'il n'est pas son propre effet. Donc il y a un mystère insaisissable du point de vue de la conscience mentale. Cet acte pur est le mystérieux et paradoxal moteur immobile de toute chose du point de vue de ce peut percevoir une conscience mentale... Il n'est donc pas affectée par les activités mentales tendant à vouloir imposer une quelconque idée impliquant toujours une intuition-idée a priori de temps.
Les moyens habiles par lesquels cette première personne en sa lumière transparente s'aperçoit finissent dans le tableau et dans leur imprécision. Le doigt que je tourne vers cela qui voit au-delà de ce qui conçoit n'est pas vu ailleurs qu'au coeur même de ce qui voit. Le champ de la première personnel est omnidirectionnel ce qu'aucun doigt ne peut pointer... Par analogie tout concept échoue à en rendre compte ultimement : il ne pointera que des faits et non des choses car un fait n'est que l'affirmation d'une qualification conceptuelle évoquant une chose quitte à en trahir sa singularité à travers ses généralités inéluctables. Un concept ne peut pointer quelque chose à voir en dehors de lui que s'il avoue son irréalité.

En ce qui concerne le voir, la lumière transparente, qui donne à voir toute chose dans l'acte même de se voir im-médiatement, insuffle l'activité irréelle de la pensée. Mais dès lors il n'y a qu'elle qui puisse se voir en tant qu'essence du voir et la pensée qui se croit nécessaire pour en témoigner ne fait que la trahir.