vendredi 30 mars 2012

FACE AU DEFI DE L'ASSIMILATION/INTEGRATION, UNE VOIE INTEGRALE POUR PASSER DE l'IDENTITE NATIONALE EGOCENTRIQUE AU JAILLISSEMENT DE L'ÂME FRANCAISE.




On nous parle d'immigration choisie et on notera que même un américain des États-Unis francophile a toutes les peines du monde à obtenir des papiers pour demeurer en France et s'il y reste,  il aura toutes les peines du monde pour se voir attribuer la nationalité française malgré sa francophilie. Il y a ainsi à Paris des bohèmes américains fous de la France et sans papier.
De même tel tunisien ou algérien qui ne jure que par la culture française émancipatrice qu'elle soit théâtrale, picturale ou philosophique rencontrera des tas d'obstacles.

 Celui qui ne veut être français que pour raison économique sans véritable conviction francophile a du point des lois les mêmes droits. A vrai dire proportionnellement, ce sont des gens peu qualifiés qui travaillant au noir depuis des années plaçant leurs enfants à l'école se voient intégrés au final grâce à leurs enfants scolarisés alors que leur rapport à la culture française ainsi que celui de leurs enfants est objectivement moins intenses.

Nos politiques faussement égalitaristes, restrictives tout en se prétendant humanistes mènent à ce que des individus culturellement amoureux de la France demeurent dans la clandestinité tandis que des travailleurs sans culture profonde de la France deviennent par leurs enfants des immigrés reconnus et enfin par leurs enfants puissent acquérir plus tard à leur tour la nationalité française.


La binationalité de ce type de personnes sera à l'évidence beaucoup plus problématique que l'aurait été celle des personnes amoureuses de la France sans qu'il leur soit permis d'y être officiellement admis à vivre. Une assimilation économique et par le biais d'une scolarisation des enfants ne garantit pas du tout une assimilation culturelle à la mentalité française moderne (ou au-delà) qui assure la cohésion nationale pour le moment : on  peut rester malheureusement prémoderne même en fréquentant les bancs de l'école.

Nous devons certainement d'ailleurs améliorer notre école si nous voulons davantage assimiler de personnes à la France et à sa mentalité dominante voire au-delà. Il y a un problème de formation des professeurs mais aussi et surtout de concentration d'élèves d'une mentalité communautariste prémoderne qui rejetteront en bloc le discours professoral qui ira à l'encontre de leur identité immédiate. Premièrement, il faut éclater de telles concentrations d'élèves pour qu'ils ne puissent plus faire bloc. On peut diminuer le nombre d'élèves par classe jusqu'à une dizaine (je parle par expérience ayant enseigné à Goussainville et ayant réussi à modifier les idées des élèves par le dialogue rationnel et l'appel au cœur, un seul de cette dizaine d'élève n'a pas fait cette transition mais les autres l'ont jugé en danger psychologique en s'inquiétant pour lui). On peut transporter aussi ces élèves dans d'autres établissements plus représentatifs en terme de répartition des mentalités de la mentalité française globale : cette mesure n'aurait rien de discriminatoire puisqu'elle donnerait certainement leur chance à ces élèves de s'adapter davantage à des mentalités plus évoluées nécessaires pour progresser dans leurs études et pour s'insérer plus facilement économiquement et socialement (là encore je parle par expérience puisque je fais face à des élèves de toute origine, religion et mentalité mais qui présente une répartition dans l'échelle des mentalités similaires à la France). Deuxièmement, il faut davantage des professeurs conscients de l'enjeu de l'évolution des mentalités mais aussi des professeurs capables par leur intelligence émotionnelle et leur sens d'un dialogue sans compromission avec l'erreur et l'illusion de faire accoucher l'élève d'un cheminement de sa mentalité actuelle vers une mentalité plus élevée où il pourra se reconnaître dans les valeurs dominantes de la mentalité française sans qu'il ait besoin de renier sa culture (là encore une pratique consciente d'une voie spirituelle intégrale serait efficace).


Notre système scolaire est en partie en crise parce que au fond le Mème Vert (relationnel relativiste) dont parle la spirale dynamique est en fait souvent assez laxiste avec certaines opinions prémodernes (stades antérieurs au stade individualiste rationnel) des élèves préférant se focaliser sur ce qui ne fâche pas au nom du respect des victimes de la société que seraient ces élèves. Ainsi on va contourner l'évolution des espèces en biologie, la question homosexuelle en ECJS ou la Shoah en histoire parce que ce sont des sujets qui fâchent certains. Mais on doit aussi constater qu'au lycée les programmes n'insistent plus sur la Shoah et que la question homosexuelle n'est mentionnée que vaguement en biologie à propos de la question des genres alors que cela pourrait être une thématique en littérature, philosophie, histoire, SES, etc. Le Mème vert s'oppose aux Mèmes modernes rationnels individualistes et nationalistes conservateurs et veut défendre ceux qui en seraient victimes à savoir les immigrés mais ils ne voit pas qu'il sape ce qui le rend possible à commencer par la domination du Mème moderne.

Une clé de l'évolution des mentalités est peut-être dans la conscience de l'Être qui permet en profondeur de faciliter le Devenir :



Notre capacité d'assimilation dit donc aussi quelque chose de notre propre force spirituelle en tant que personne ou bien nation. Notre ambition dans cette réflexion consiste donc à préciser comment nous pourrions atteindre ce point nodal au croisement de l'Être et du Devenir facilitant l'ascension parmi les mentalités (Le Brahmane statique (l'Être) et le Brahmane dynamique (le Devenir) dans les concepts néovedantique de Sri Aurobindo par exemple).

Notre système scolaire en l'état ne réussit pas suffisamment à hisser des enfants issus de familles immigrées prémodernes à un stade profondément moderne où la devise liberté, égalité, fraternité prend son sens universel contre tout dogme, tout communautarisme, etc. On doit reconnaître qu'aujourd'hui la priorité n'est guère à une réforme solide du système scolaire pour faire face à ces défis. Si on admet que ceux qui dirigent la nation sont actuellement centrés sur les Mèmes bleu (autoritarisme collectiviste) et orange (individualisme moderne) alors qu'il faudrait aider les professeurs de l'éducation nationale à franchir le Mème vert (relativisme relationnel), alors il n'y a aucune chance d'avoir sous peu une solution convaincante.

Certains dirigeants politiques centrés sur l'individualisme rationnel moderne pour obtenir une majorité instrumentalisent cette question de l'assimilation pour nous détourner des injustices économiques et quand les politiciens prennent vraiment au sérieux ce problème, ils sont clairement affiliés au Mème bleu des mentalités autoritaires, collectivistes et valorisant la transcendance. Autrement dit ils ne sont guère convaincants comme républicains défenseurs de la laïcité vus leurs liens avec des courants antidémocratiques.

Mais nos constats désenchantés ne vont-ils pas nourrir, malgré nous, les mots d'ordre des ténors politiques  qui vont accuser des gens comme nous de délaisser politiquement au final la question de l'identité nationale ou de l'assimilation et de participer au déclin de la France ? Ou pire en rester à ce constat désenchanté ne va-t-il pas donner du crédit au Front national, par exemple, qui pour traiter ce problème, veut tout bonnement supprimer la double nationalité et ne plus s'efforcer d'assimiler ceux qui ne semblent pas vouloir en faire l'effort. En effet, le FN au moins aurait lui contrairement à nous des solutions applicables imméditament...

Si nous refusons toute tentation identitaire qui contredirait la recherche du point de croisement entre l'Être et le Devenir pour ne privilégier qu'une forme appauvrie de l'Être, nous ne voulons pas non plus perdre notre âme française que, dans sa volonté de se l'arroger, le FN nous pousse à trahir. 

Voici par exemple un de ses tracts en vue d'une pétition qu'il invite à signer :



DOUBLE NATIONALITÉ IL FAUT EN FINIR !
L’explosion du chiffre des binationaux pose aujourd’hui des problèmes dont les Français sont de plus en plus conscients. La multiplicité des appartenances à d’autres nations contribue aujourd’hui, et d’une manière de plus en plus préoccupante, à affaiblir chez nos compatriotes l’acceptation d’une communauté de destin, et par 
là-même à miner les fondements de l’action de l’Etat. Nombre de Français ont ainsi été choqués du fait qu’un ministre français soit à la fois tunisien et français, surtout lorsque ce ministre déclare, en pleine répression « bénaliste », que : « dire que la Tunisie est une dictature univoque me semble exagéré ». N’y a-t-il pas dans ces circonstances un risque de collision entre des intérêts nationaux divergents ?
Dans l’intérêt de la France et des autres nations, il est nécessaire d’engager une démarche authentiquement républicaine en mettant fin à la double nationalité et de demander à chacun de nos compatriotes placés dans cette situation, de choisir son allégeance : la France, ou un autre pays. Devant l’inaction du chef de l’Etat et 
du gouvernement, le FN veut porter haut et fort les aspirations du peuple français, qui n’est pas réellement représenté à l’Assemblée Nationale. Le Front National lance une pétition pour l’abolition de la double nationalité. 

Marine Le Pen et le FN proposent :
- La suppression de la double nationalité en laissant à chaque binational un délai raisonnable pour choisir le pays auquel il souhaite appartenir. La déchéance de leur nationalité française pour les binationaux condamnés pour des faits délictuels ou criminels.
- La réforme en profondeur du code de la nationalité en supprimant notamment le droit du sol qui permet à n’importe quelle personne née en France de bénéficier de la nationalité française.
MARINE LE PEN DÉFEND LES FRANÇAIS

Le Mème autoritaire dont Marine Lepen et le FN sont des représentants semble faire un retour en force comme on le constate dans l'enquête d'opinion suivante :

Il est important de rappeler du point de vue spirituel qu'il n'y a jamais eu qu'un seul champ de conscience non duel et que toute radicalisation identitaire risque de nier cette essence unique racine de toute existence individuelle. Autrement dit une nation, un partie politique se coupant de cette dimension se coupe de l'intelligence, de la vitalité authentique, etc. Si l'évolution met en jeu la vie divine, une telle nation, les membres d'un tel partie qui se crispent sur une identité sont condamnés à devenir des obstacles à l'évolution qui seront inéluctablement balayé par son élan.

Les identités de base dans cette évolution ne sont pas niées mais intégrées et dépassées c'est-à-dire épurées de tout ce qui les empêche de s'élargir.

On oppose le droit du sol et le droit du sang dans l'acquisition de la nationalité française. On devrait en fait créer un droit de l'esprit. Ainsi toute personne francophile à travers le monde pourrait acquérir une binationalité. Cette nouvelle approche de la nationalité participerait à la grandeur de notre âme et non à l'étroitesse de notre égocentrisme national !

Ici grâce à un point de vue intégral issu du deuxième cycle de l'évolution des mentalités qui ne craint plus pour sa survie, le Mème vert peut embrasser le Mème moderne (le droit du sol) voire le Mème bleu avec sa remise en cause du droit du sol au nom d'un droit garantissant davantage l’adhésion à l'identité qui assure la cohésion nationale. 


Les questions religieuses souvent évoquées par les médias modernes ainsi que par la droite et l'extrême droite sont moins centrales qu'il n'y paraît : ces médias vendent des images chocs au mépris des problèmes qui nécessitent une vision de fond et ces politiques restent souvent prisonniers de la conscience normative et transcendante et ne supportent pas qu'une autorité puisse être discutée, ils ne comprennent pas toujours que pour amener vers la modernité des prémodernes sans contrainte violente, il faut se situer à des niveaux de mentalité du Deuxième cycle dans la spirale dynamique (voir le schéma de la spirale plus haut). L'évolution des mentalités se jouent aujourd'hui du côté du Mème vert relativiste et relationnel qui ne peut incarner le centre de la vie française sans avoir un fort penchant jaune lui permettant de solutionner les problèmes que celui qui rejette le Mème moderne orange ne veut plus considérer.

Jacques Ferber et Véronique Guérin dans Le monde change... et nous? p.76 et suivantes expriment bien cette difficulté évolutive :

D'une manière générale, le courant Vert tend à considérer que tous les dominés sont des victimes qu'il faut aider, et que tous les dominants sont "mauvais". De ce fait, les travailleurs immigrés, les SDF, les femmes battues, les prisonniers, les salariés d'entreprise, les lycéens, les prostitués, etc. sont bons et tout ce qu'ils font est juste. En revanche les entrepreneurs, les dirigeants, les personnes riches, les gardiens de prison, les policiers, les militaires, les hommes consommateurs de films porno ou clients des prostitués, etc. sont a priori "mauvais", car nécessairement exploiteurs, abusant de leur position de force.

Par exemple, lorsque les banlieues flambent et que des voitures sont incendiées, les incendiaires sont toujours excusés par les Verts qui considèrent que leur comportement est issu de la souffrance des jeunes de ces banlieues et de leur situation de dominés. En revanche, la police lorsqu'elle tente de remettre de l'ordre (valeur bleue) est dénigrée car ses interventions sont assimilées à de la violence.

[...]

L'exemple suivant montre bien des incohérence de cettte représentation et la confusion et l'impuissance dans lesquelles elle nous emmène :

Ibrahim est un émigré en situation précaire puisqu'il n' pas de papiers. Il cherche à régulariser sa situation et pour cela séduit une jeune femme qui tombe amoureuse et accepte de se marier avec lui. Ils ont un enfant ensemble. Progressivement, la relation entre les époux se détériore et Ibrahim frappe sa femme qui se retrouve à l'hôpital. Celle-ci se retrouve sans ressource, seule avec son enfant, porte plainte de manière à ce que son mari n'obtienne pas de papier d'identité.

Dans cette histoire banale, qui est la victime et qui est l'agresseur ?

[...]

Dans des situations complexes interpersonnelles ou interculturelles, le courant Vert est ambigu, confus et souvent inefficace par ce qu'il est aux prises avec le "syndrome de Gandhi" : face à la violence, il ne veut faire appel qu'à l'amour et à l'empathie. Certes certains grands initiés comme Jésus, Gandhi, Martin Luther King, Bouddha, pour n'en citer que quelques uns, ont su, grâce à leur puissance d'amour, d'empathie et d'ouverture, désarmer des situations de violence. Mais leur qualité de présence est le résultat d'un long cheminement de vie [...]. Tous les jours, des enseignants, des parents, des éducateurs se retrouvent impuissants et démunis face à des situations de violence. Ils n'arrivent pas à se protéger ni à protéger ceux qui en sont victimes. Ils se culpabilisent de ne pas s'en sortir alors qu'ils sont de bonne volonté et adoptent une attitude de soumission, de fuite ou de contre-attaque violente. Ce qui a pour conséquence une augmentation de violences...
Le Mème Vert relativiste et relationnel n'est pas plus problématique que les précédents. A vrai dire les dégâts commis par les mentalités antérieures sont plus graves que ce soit par des crimes de masse (bleus et bleu-oranges) ou une destruction inconsciente des équilibres de la nature (orange). Mais la transition orange-verte, verte vers le vert-jaune du second cycle en tant que changement de cycle est délicate.
Ce deuxième cycle n'est plus hanté par la lutte pour la vie : ceux qui ont franchi ce cap commencent à expérimenter la force de la foi expérimentée en une évolution consciente de la conscience inexorable exercée comme par un attracteur étrange encore invisible. Dans ce deuxième cycle, on n'exclut pas une possibilité de conscience largement au-delà de l'homme.
Les religions sont aujourd'hui encore dans le premier cycle. Ce sont globalement des systèmes de pouvoir ou de prise de pouvoir collectif à l'image des idéologies politiques ou de certaines entreprises économiques. Il est certain d'ailleurs que la pauvreté économique n'est pas sans lien avec le retour du religieux, système de solidarité des pauvres du point de vue du premier cycle où la lutte pour la vie et l'idée qu'il faut gagner sa vie domine. Au niveau de ce cycle, la spiritualité reste bien souvent en retrait du monde, la religion étant sensée la préserver mais aujourd'hui à la fin de ce cycle la religion menace toute spiritualité car la religion devient exclusivement dominée par le désir de régner sur le monde.
Mais en Iran, le pouvoir religieux islamique peu à peu se désagrège se révélant une façon de pouvoir économique non libérale. En Tunisie, Ennahda renonce à toute référence à la charia (la loi islamique traditionnelle) dans la constitution. Au Maroc certaines lois issues de la charia sont contestées dans la rue et semblent inhumaines comme le fait d'excuser le violeur qui épouse sa victime. Ce recul de la religion face au désir individualiste de gain économique non soumis à un collectif intraitable semble inéluctable. Ce fût d'ailleurs le cas en Occident entre la renaissance et les Lumières : le rationalisme individualiste moderne (Mème orange) par son pouvoir économique s'est substitué au pouvoir autoritaire et religieux (Mème bleu).

Raoul Vaneigem qui ne se rattache pas à la spirale dynamique et ne perçoit pas clairement qu'une dimension spirituelle peut exister au-delà des religions où elle s'est d'abord enracinée écrit dans Pour l'abolition de la société marchande, Pour une société vivante :
Partout où la société de consommation est devenue prédominante, la substance des religions s'est corrodée, la puissance de leurs institutions s'est anémiée. Il ne subsiste du christianisme et du judaïsme - en dépit de la vogue que lui octrois momentanément le conflit entre Israëliens et palestiniens - qu'une enveloppe vide où les rituels liés à la naissance, à la puberté, au mariage et à la mort ne revêtent plus qu'une signification folklorique.
L'Islam reste encore florissant parce qu'il est l'émanation d'une mentalité de tpe agraire, opposant la tradition patriarcale à l'économie de consommation qui l'abolit, défendant contre l'égalité consumériste de l'homme et de sa compagne les privilèges du mâle archaïque, terrorisé par la femme et réduit à l'assujettir par la peur et l'obscurantisme.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : il entre dans l’œil d'un cyclone qui le brisera comme il a brisé les autres superstitions. Parce que l'Islam courbe le dos sous l'ouragan lucratif qui désacralise tout, certains voudraient voir en lui le signe d'une formidable persistance de la foi. C'est négliger à quel point il s'enlise dans une multiplicité de sectes dont les soucis financiers gouvernent les spéculations théologiques. Le croissant, figuré sur ses drapeaux, ne représente pour beaucoup de croyants qu'une insuffisante part de gâteau.
Le voici guetté, à gauche, par un islam humaniste, un islam de compassion, d'ouverture et de supermarchés, et à droite par un système mafieux où mes intérêts du pétrole, de la finance et de la drogue ont déjà, à la manière du calvinisme sévissant aux États-Unis, conclu un accord entre les affaires et le Dieu Allah qui les sanctionne. Que peut Mohamed contre le prophète MacDonald ?
De manière lapidaire et dans la même veine Sri Aurobindo disait le 28 février 1924 (in L'Inde et la renaissance de la terre p.186, anthologie réalisée par Michel Danino et Sujata Nahar) :

...C'et l'histoire de toutes les religions, de toutes les sectes ou institutions religieuses ; cela commence avec la religion et finit par le commerce. Partout c'est la même chose.
Les soubresauts d’extrémisme religieux contemporains sont déjà les derniers relents d'une mentalité en train de perdre son pouvoir : les symptômes du mal s'accroissent souvent avant que le corps produisent sa guérison. La question de la mentalité est donc plus centrale puisque les religions ne sont que l'expression de l'organisation économique dominante. Ceci est à nuancer s'il y a en elle une dimension spirituelle (ce que Raoul Vaneigem ignore ici) mais là encore avec cette dynamique, c'est bien l'évolution des mentalités où cette spiritualité s'exprime qu'il nous faut observer. Si notre approche globale est juste, la spiritualité de demain ne s'exercera sans doute plus dans des mentalités essentiellement religieuses car adeptes du Mème bleu autoritariste et transcendant.


Pour être francophile (et il n'est pas sûr que certains qui l'affirment le soit vraiment en tirant la répartition des mentalités française vers un repli égocentrique), il faut admirer le modernisme républicain français voir en faire un marchepied pour des visions du monde plus élaborées. On peut être musulman et moderne comme un Mohammed Arkoun voire "post-postmoderne" comme Abdennour Bidar. Ceux qui affirment qu'on ne peut pas être musulman et républicain nie la sincérité des musulmans qui mettent en avant leur identité française sur leur religion. On entend malheureusement certains politiques de premier plan parler à propos de ces musulmans républicains de "musulmans d'apparence". Ces mêmes politiques s'en prennent à ces rituels sur la nourriture qui souvent aboutissent à une séparation mais dès qu'ils touchent par là même ceux qui mangent casher, ils marquent un repli qui montre qu'ils ne sont pas vraiment laïcs et modernes jusqu'au bout et que ils sont plutôt en train de stigmatiser une religion sous-tendant la thèse qu'on ne saurait être un bon français musulman car toujours en train de lorgner du côté du reste du monde musulman que servant les intérêts français. En fait ces problèmes ne sont pas liés à telle religion car bien sûr on peut être aussi un chrétien prémoderne : il y a ainsi de nombreux chrétiens catholiques traditionalistes ou des chrétiens évangélistes qui rejettent de nombreux éléments de la modernité et n'ont rien du tout de postmoderne. La modernité républicaine est tout autant menacée par les uns que par les autres. Certes ces chrétiens nous ramènent en arrière tandis que les musulmans évoquent une conquête et la mise en péril d'une civilisation qui ne serait pas la leur. Mais quand on a dit ceci, on est déjà gangréné par un retour en arrière, il y a une renonciation à la modernité et au moteur de l'identité française qui ne considèrent que des citoyens et non des communautés. Certains diront qu'il y a là de l'angélisme : non car le moderne et le postmoderne fins stratèges en promouvant certains droits (égalité homme-femme, mixité, légalisation du mariage homosexuel) et en imposant certains devoirs (étude de l'évolutionnisme, apprentissage de la philosophie des Lumières, examen en histoire des négations de la démocratie (totalitarisme, Shoah, génocide arménien, etc) évitent de tomber dans ce piège sans issu qu'est la stigmatisation d'une communauté par son origine ethnique ou religieuse.
D'ailleurs un républicanisme postmoderne irait plus loin encore et enseignerait l'histoire des religions et des spiritualités (y compris athée ou agnostiques) en montrant comment telle et telle pensée philosophiques, religieuses ou spirituelles ont pu devenir vraiment modernes ou postmodernes : ceci permettrait aux uns de franchir certaines barrières qui les empêchent de s'adapter à la modernité alors qu'ils sont citoyens français et aux autres de comprendre que la stigmatisation d'une religion ou d'une communauté est toujours abusive vu que ses membres disposent en fait des ressources spirituelles pour évoluer.

Considérons le dessin suivant en première personne :



Ce dessin nous invite à constater que le champ de conscience est lumière transparente et que notre identité profonde n'a rien de raciale ou de culturellement déterminée. Cette transparence qui est l'essence de notre intelligence et de notre vitalité est libre de toute identité même si elle est liée à l'engendrement d'une identité.


Notre devise française de liberté, égalité et fraternité ne prend-elle pas une dimension plus profonde du point de vue de cette transparence ?


L'identité française la plus profonde, la plus spirituelle n'aurait-elle pas un lien avec un tel type de culture philosophique et spirituelle ?

L'individu humain est à l'évidence le fruit d'une individualisation de la conscience universelle et transcendante. Mais pas seulement le fruit car le divin a une dimension pleinement singulière qui ne coïncide pas avec l'universel et ne s'efface pas dans la transcendance.


Sri Aurobindo invite à considérer une nation comme une individualisation au fil de l'histoire d'une entité collective. Par analogie avec l'identité personnelle, il y a une illusion d'un égocentrisme national qui empêche la nation de se connecter à son âme par laquelle une nation est reliée à une communion mondiale de toutes les âmes nationales. Résoudre le problème de l'assimilation des cultures immigrées à la culture française met en jeu notre capacité à faire surgir notre âme nationale qui permettra d'unir les nations du monde. Ce sont à vrai dire les problèmes du monde qui sont actuellement ceux du corps de notre nation. S'approcher de notre âme collective non égocentrique implique de voir que ces deux questions ne font qu'une. Là encore est en jeu le rôle spécifique de notre nation vis-à-vis de l'avenir de l'humanité.

Dès lors qu'une identité n'est plus un obstacle pour la prise de conscience qu'elle est le fruit de l'individualisation de la conscience universelle et transcendante, elle se rapproche de son authentique singularité absolue qui veut se manifester à travers elle. Quand l'ego prend conscience qu'il est l'effet de l'individualisation universelle et transcendante, il devient moins égocentrique car il sait que son destin est lié à tous les autres.Il fait l'expérience de paraître dans la lumière divine. Il sent que l'universel le vêt de ses mouvements comme par des flux de conscience force, il sent que la transcendance l'arrache à ses mouvements usuels. Enfin il se sent le reflet d'une lumière qui le singularise en choisissant ou non de revêtir tel ou tel mouvement universel ou en aspirant à ce que la transcendance lui offre une manifestation élargie. Dans cette dynamique de singularisation la dimension individuelle qui s'affirme s'unifie de plus en plus avec l'universel et le transcendant.

Du point du vue des nations, il y aurait un pas énorme à pressentir en quoi chacune participe à l'engendrement des autres et en quoi le caractère des autres ne peut manquer de les engendrer. Cet engendrement a eu lieu jusqu'ici dans le cadre d'une lutte des égocentrismes. Ainsi depuis le XIXème siècle jusqu'à la constitution d'une Europe politique, l'ego national allemand et  l'ego national français se sont construit en concurrence l'un avec l'autre. Les alliances entre nations se sont souvent construites contre d'autres nations : l'Europe s'est en partie construite pour faire face à la menace soviétique ou pour acquérir un poids économique face aux USA et au Japon. Bien sûr, il y a eu des motifs plus généreux en arrière fond, il y a toujours eu par exemple entre la France et l'Allemagne des échanges culturels féconds en philosophie, en littérature, etc. La véritable union des âmes allemande et française se construisait et se construit encore malgré la vie apparente de ces nations sur le plan d'une identité égocentrique.

La prise de conscience du processus universel et transcendant d'individualisation nous arrache à notre égocentrisme mais ne nous donne pas encore une conscience de notre âme singulière en croissance. L'ego reste là entendant des lueurs de cette âme mais n'ayant pas encore surmonté son nœud psychique : ces facteurs dans son individualisation qui empêchent pleinement de la mettre au service de sa singularisation. Rien ni personne ne peut l'aider car sa singularité psychique manque ici aux autres nations pour qu'elles aussi dépassent leur ego et découvre davantage leur âme propre. Le nœud psychique porte en lui le secret d'une lueur pour toutes les nations.

Pourrions-nous situer ce nœud psychique qui caractériserait l'individualisation française ?

Nous sommes alors loin du récent et malheureux débat sur l'identité française même si nous prenons au sérieux son existence y compris sur le plan ontologique en parlant d'âme.

Des éléments pointent notre être psychique et ce qui risque plus que tout de l'enfouir :
"La France, c'était la générosité des sentiments, la nouveauté et la hardiesse des idées, l'action chevaleresque. Cette France-là commande le respect et l'admiration de tous ; c'est par ces vertus qu'elle a dominé le monde. Une France utilitaire, calculatrice et mercantile n'est plus la France ; ces choses ne sont pas conformes à sa vraie nature, et en les pratiquant, elle perd la noblesse de sa position mondiale."[Auroville Pavillon France]

A côté de ceci, plusieurs difficultés psychiques nous caractérisent même quand nous développons "nos vertus" et nous devons les dépasser collectivement si nous voulons faire jaillir une âme française :

1 - La difficulté de trouver un équilibre entre créativité individuelle et harmonie du collectif. Nos équipes de sportifs de haut niveau (football, rugby...) symbolise ce problème. Sur le papier nous avons de fortes individualités mais incapables de fonctionner réellement en collectif. Mais à vrai dire c'est là le lot de toutes les nations de la terre pour l'heure. Mais ce qui caractérise spécifiquement le problème de l'identité française a à voir avec son rapport et sa conception de l'autorité. On attend tout d'un seul : on s'est habitué à l'idée d'un sauveur de la nation (Jeanne D’Arc, De Gaulle), de quelqu'un qui par sa grandeur (les Bonaparte) mettrait tout en place pour le mieux. On veut un Père et en même temps dès qu'il s'en présente un au lieu de se laisser grandir par lui, on l'accable d'infantilismes capricieux, on lui demande tout et son contraire. Nous voulons des responsables sans nous responsabiliser tous.

Nous pouvons difficilement vouloir imposer notre identité pathologique à des gens. Il y a un lien net donc entre un travail éducatif d'assimilation et d'intégration et la nécessité de repenser la démocratie. Si on attend de notre représentant qu'il trouve des solutions avec seulement des interdits et des limitations, on ne parviendra à rien. Une loi peut changer ce qu'on porte sur soi en surface mais l'enjeu est bien ce qu'on pense et celui d'une éducation à un dialogue citoyen ouvert. La communauté des citoyens doit exister concrètement et dès lors l'enjeu de l'assimilation et de l'intégration ne sera pas joué seulement avec un fonctionnaire ou un questionnaire mais d'abord avec une participation citoyenne à la souveraineté.

2 - Notre goût français de la chose mentale peut nous rendre arrogant. Un principe, une valeur nouvelle met beaucoup de temps avant d'être reconnu et sa reconnaissance passe par de grandes polémiques, une dialectique... Dès lors que nous adoptons un principe, nous faisons, français, la leçon à toutes les nations et nous aimons peu recevoir des leçons des autres. Alors que le principe n'est pas fermement établi chez nous nous nous empressons déjà de pointer ceux qui ne le défendent pas.

La question de la justice économique reste par exemple un facteur qui dénonce la fausseté des principes. Comment croire aux valeurs françaises d'égalité, de liberté et de fraternité quand 10% de la population possède près de 64% des biens ? Comment croire à l'égalité des chances scolaires quand les plus riches ont les moyens de mettre leurs enfants dans des institutions plus favorables à leur réussite ? La reproduction sociale par l'école au niveau des élites n'a fait que s'accroître ces dernières années et les mesurettes qui prétendent combler cette réalité écarte bien sûr les classes moyennes. Comment croire à ces valeurs républicaines quand le racisme ordinaire et la discrimination sont encore si souvent à l’œuvre économiquement ? Aujourd'hui celui qui est lucide sait très bien qu'il ne faut pas lutter contre l'immigration clandestine aux frontières mais bien sur le sol français. Ce sont bien des entreprises qui ne sont pas inquiétées qui embauchent ces clandestins contre un salaire de misère et par là même dégrade le marché du travail des citoyens. On punit des passeurs mais où sont les grands procès contre ces entrepreneurs qui gèrent à partir de la main d’œuvre immigrée et clandestine leur(s) entreprise(s) ?

3 - Notre formation mentale donne à beaucoup de nos élites un accès à quelques pouvoir de ce que Sri Aurobindo appelle le mental supérieur. Si on commence à nous dire quelque chose dont nous maîtrisons l'idée nous nous empressons d'interrompre l'interlocuteur en devançant sa pensée. Nous nous coupons ainsi de l'intuition en ne nous mettant pas à l'écoute. Mais parce que ces élites ont des principes qui ont semé le chaos et parce que la scolarisation ne tient pas ses promesses, le peuple a tendance à entrer en défiance : le vital cherche à humilier en retour le mental supérieur. "Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point" mais le cœur sans la raison est aveugle. Il confond l'agitation et l'énergie réellement au service de la création.

Les élites françaises manquent donc d'intelligence émotionnelle au sens noble. Elles ont appris par les publicitaires à manipuler les intentions mais elles n'ont rien appris en ce qui concerne le cœur et son élévation.

4 - La dimension spirituelle de la vie n'a pas de reflet politique alors que cette réalité devient de plus en plus présente dans le terreau de la culture postmoderne française. Pour beaucoup encore centrés sur une culture moderne, il n'existe rien de spirituel en dehors des religions et ce qui n'appartient pas aux religions est d'essence sectaire. Seule la philosophie offrirait une spiritualité ni religieuse ni sectaire mais la philosophie française s'intéresse à des sagesses dans une mentalité postmoderne qui la déconnecte de la chose politique et quand la philosophie s'intéresse à la politique lorgnant du côté moderne, elle se moque de la spiritualité. En France, les deux préoccupations philosophiques sont rarement portées à leur extrême acuité simultanément. 

Et si quelqu'un y est sensible, il tait une dimension dans un cercle et tait l'autre dans un autre. Jaurès lecteur de Pierre Leroux qui lui alliait les deux tait fréquemment ses interrogations spirituelles nettement présentes dans sa thèse. Les lecteurs de Rousseau déconnectent volontiers sa vie spirituelle de ses théories politiques. Et récemment Edgar Morin et Stéphane Hessel parlent d'une dimension poétique au lieu d'assumer la dimension spirituelle. Etc.

Le spirituel reste donc encore quelque chose d'étranger à la politique et n'a aucune place dans le débat politique. Bien sûr on lutte contre les antisectes qui font la confusion spiritualité sans religion implique obligatoirement secte. Bien sûr on est sensible aux questions écologiques. Mais on n'ose pas pensé encore une société dont la politique aurait pour but de favoriser l'évolution consciente de la conscience collectivement et individuellement...

Nos débats qui montrent nos craintes vis-à-vis des communautarismes prendraient une autre tournure. Nous saurions qu'il faut passer par la modernité avant d'intégrer la postmodernité puis d'atteindre une culture spiritualisée dont la dynamique ne soit centrée plus sur une forme d'égocentrisme même élargi.

Assumer les différences de mentalité et relativiser le relativisme culturel du point de vue d'une évolution des mentalités, par exemple, nous permettrait plus facilement de sérier les problèmes d'intégration liés à l'immigration.

Cet ultime saut permettrait de repenser l'identité française comme liberté, égalité et fraternité à un autre niveau que moderne (le républicanisme) tout en dépassant l'ironie (voir le cynisme) postmoderne à l'égard de cette devise. La liberté s'incarnerait à travers un libre progrès permettant à tous d'évoluer. Elle ne se limiterait plus à l'expression de la protestation et à l'entreprise économique.

Dans Sri Aurobindo et l'Avenir de la Révolution française, on lit p. 130.  :

 La liberté, l'égalité, la fraternité sont trois divinités de l'âme; elles ne peuvent pas vraiment se réaliser par les mécanismes extérieurs de la société, ni par l'homme tant qu'il vit seulement dans l'ego individuel et dans celui de la communauté. Quand l'ego réclame la liberté, il arrive à un individualisme compétitif. Quand il revendique l'égalité, il arrive d'abord au conflit, puis il tente de fermer les yeux sur les variations de la Nature et ne connaît d'autre moyen que de bâtir une société artificielle et mécanique. Une société qui cherche la liberté comme idéal, est incapable d'arriver à l'égalité; une société qui cherche l'égalité sera obligée de sacrifier la liberté. Et parler de fraternité à l'ego, c'est parler d'une chose contraire à sa nature. Tout ce qu'il connaît, c'est une association à la poursuite de fins égoïstes communes; tout ce qu'il est capable de réaliser, c'est une organisation plus rigoureuse afin de répartir également le travail, la production, la consommation et les plaisirs.

L'égalité serait bien comprise comme une égalité de droit et de dignité, chacun étant une tentative d'individualisation de l'absolu mais de fait l'inégalité à considérer comme essentielle ne serait plus l'inégalité économique mais l'inégalité de l'évolution spirituelle. Enfin la fraternité ne se limiterait plus à redistribution de biens sanitaires, scolaires et économiques combiné au cynisme du déclassement social, du licenciement, de la flexibilité, etc.


mercredi 28 mars 2012

L'APPORT DE ROUSSEAU. REPUBLIQUE ET DEMOCRATIE. Episode 2.

On pourra lire un premier épisode en cliquant ici.

On explique volontiers que Rousseau dit que la démocratie est un système politique que seuls des dieux pourraient avoir (Livre III, chapitre 4). Dès lors on sous-entend que le pouvoir direct du peuple n'est pas le propos de Rousseau.

Aller en ce sens revient à un faux-sens voire un contresens de lecture tragique et malheureusement souvent très répandu. Car dès lors on a l'impression que Rousseau décrit dans son Contrat social un idéal qui serait par définition inaccessible.

Or pour Rousseau la démocratie n'est qu'un système de pouvoir exécutif, c'est-à-dire de gouvernement où chaque citoyen gouverne ; son caractère utopique ne met pas en cause la possibilité d'autres formes républicaines de gouvernement appliquant la loi décidée par la volonté générale en assemblée. Selon Rousseau, le gouvernement peut être aristocratique ou monarchique sans que la souveraineté directe du peuple soit usurpée. Le gouvernement démocratique a le défaut qu'il donne l'autorité de la mise en œuvre de la loi à tous les citoyens et donc le pouvoir de contraindre ceux qui seraient récalcitrants. C'est ce point qui semble à Rousseau impossible. 

Mais l'exercice de la souveraineté du peuple et donc son pouvoir décisionnel sur les lois n'est pas remis en cause. Seule la république comme forme de pouvoir législatif exercée par le peuple est légitime. Une république pour Rousseau est une république dés lors que la souveraineté appartient au peuple et à lui seul.

En ce sens notre république où le pouvoir législatif est exercé par des représentants conduit à une usurpation de la volonté du peuple et de son pouvoir décisionnel (on lira l'article de notre épisode précédent sur L'apport de Rousseau).

On a souvent dit que chez Rousseau, il n'y avait pas séparation des pouvoirs législatifs et exécutifs. Ce serait plutôt vrai de notre système politique puisque les représentants participent souvent au gouvernement. Dans les républiques aristocratiques et monarchiques qui ont la faveur de Rousseau, il y a une plus nette séparation des pouvoirs. D'ailleurs le gouvernement est suspendu pendant que le peuple est assemblé. Mais dès lors que la loi est édictée par le peuple et que le gouvernement reprend ses droits, l'homme qui était citoyen redevient sujet du gouvernement chargé de mettre en œuvre la loi. La séparation des pouvoirs est bien réel. Le citoyen quand le peuple n'est pas assemblé est sujet et le gouvernement le contraint d'appliquer la loi qu'il a contribué à élaborer pendant qu'il était membre de l'assemblée citoyenne en législation.



Une dimension de la séparation des pouvoirs est absente : celle du pouvoir judiciaire. La critique de Benjamin Constant à l'égard de Rousseau est plus convaincante : il n'y a pas chez Rousseau un espace de vie intime sur lequel le pouvoir législatif n'a pas accès. Benjamin Constant évoque des glissements inévitable au niveau du gouvernement et d'une représentation. On peut considérer la nécessité d'un espace privé indépendant de l'espace politique public du point de vue spirituel : il faut par exemple affirmer que l'évolution consciente de la conscience est un chemin individuel et ne consiste pas en la formation d'un collectif pour le fait de former un collectif. Si l'évolution consciente de la conscience met en jeu l'évolution collective, c'est d'abord de l'intérieur et la réalisation d'un collectif la traduisant ne sera qu'un effet secondaire. Ainsi préserver un espace de vie privée inaccessible au politique consiste à affirmer contre Rousseau un pluralisme spirituel essentiel.
Pour Benjamin Constant, un peuple en assemblée peut se doter d'une loi menaçant les libertés individuelles. Rousseau estime qu'il faut que chacun mette en jeu tout ce qu'il a pour l'assemblée mette en relation des hommes libres et égaux en droit au moment de décider : certain défenseur du libéralisme ne voudrait pas bien sûr que l'assemblée quand elle est assemblée le dépossède. D'où notre nuance la défense d'un espace privé contre le tout politique concerne selon nous l'Être et non l'Avoir. Mais pour revenir à l'approche libérale, elle nous semble juste dès lors que Rousseau défend le fait qu'on remette l'exercice du pouvoir à un dictateur à l'imitation du droit romain. Ce terme a pris en effet une connotation particulière étant donné qu'il a accompagné ou justifié la terreur politique de l'Etat au nom soi-disant du bien.

Dans notre approche contemporaine du droit, les droits de l'homme et du citoyen transcende toute autre décision législative. Si on admet que l'assemblée implique la dépossession des biens au moins durant le temps de l'assemblée, on peut se donner un principe judiciaire transcendant qui interdirait alors toute dérive dictatoriale et éclairerait les décisions de l'assemblée. Rousseau n'avait-il pas songer à un législateur et une religion civile transcendant en quelque sorte l'assemblée et l'éclairant ?
Nous nous opposons à lui en affirmant que la spiritualité ne doit pas être uniformisée pour assurer de manière extérieure un esprit communautaire. Si sa fonction est de former une communauté, ce n'est d'ailleurs plus de la spiritualité mais de la religion ! La spiritualité libérée de la religion est individualisante et individualisée, son universalité a toujours un point de départ singulier irréductible : le lien qu'elle suscite avec les uns et les autres est un effet secondaire du lien avec l'absolu et son pouvoir évolutif. Le facteur transcendant ne peut pas donc être de nature politique : il affirme la séparation d'un espace individuel de l'espace collectif. Les droits de l'homme pourraient fournir une telle délimitation mais en soi ils ne fournissent pas non plus le cadre idéal pour exprimer le fait que cet espace individuel non politique ouvre précisément selon nous la possibilité de voir émerger une autre manière d'être qu'humaine ne pouvant plus si vraiment cela se produit s'inscrire au sein du politique comme collectif humain.


On peut prolonger cette réflexion critique sur Rousseau sur d'autres points en lisant le R comme Rousseau sur le blog Vive les sociétés modernes.
On pourra aussi consulter notre épisode 3 (en cliquant ici) pour envisager la question du suffrage et de la volonté générale.

samedi 3 mars 2012

L'APPORT DE ROUSSEAU. REPUBLIQUE CONTRE PLOUTOCRATIE. épisode 1.


Tout le monde constate que le pouvoir politique n'appartient plus au peuple mais à des financiers auxquels se soumettent ses représentants. Les partis politiques qui en France se partagent le pouvoir grâce au vote du peuple ont chacun des membres qui ne paient pas d'impôt en France mais à qui ces partis tendent les bras. Ce symptôme indique bien que ces partis sont soumis à la finance au sens du désir égocentrique d'appropriation et que par conséquent ses principaux acteurs sont liés aux plus puissants financièrement. D'ailleurs l’État finance telle filière économique, l’exécutif se fait représentant de commerce pour vendre des avions, des centrales nucléaires, etc.

Mais cette ploutocratie est due malgré tout à la tyrannie pulsionnelle de la majorité qui ne veut pas par son vote se donner les politiques qui lui donneront un pouvoir direct. Elle attend de ses représentants une solution au lieu de prendre soi-même son destin en main.

Rousseau décrit dans le Contrat Social précisément les limites de notre démocratie représentative :

Chapitre 3.15 Des députés ou représentants

Sitôt que le service public cesse d’être la principale affaire des citoyens, et qu’ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l’État est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher au combat ? ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au conseil ? ils nomment des députés et restent chez eux. À force de paresse et d’argent, ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie, et des représentants pour la vendre.
C’est le tracas du commerce et des arts, c’est l’avide intérêt du gain, c’est la mollesse et l’amour des commodités, qui changent les services personnels en argent.

On cède une partie de son profit pour l’augmenter à son aise. Donnez de l’argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d’esclave, il est inconnu dans la cité.

Dans un pays vraiment libre, les citoyens font tout avec leurs bras, et rien avec de l’argent ; loin de payer pour s’exempter de leurs devoirs, ils payeraient pour les remplir eux-mêmes. Je suis bien loin des idées communes ; je crois les corvées moins contraires à la liberté que les taxes.

Mieux l’État est constitué, plus les affaires publiques l’emportent sur les privées, dans l’esprit des citoyens. Il y a même beaucoup moins d’affaires privées, parce que la somme du bonheur commun fournissant une portion plus considérable à celui de chaque individu, il lui en reste moins à chercher dans les soins particuliers. Dans une cité bien conduite, chacun vole aux assemblées ; sous un mauvais gouvernement, nul n’aime à faire un pas pour s’y rendre, parce que nul ne prend intérêt à ce qui s’y fait, qu’on prévoit que la volonté générale n’y dominera pas, et qu’enfin les soins domestiques absorbent tout. Les bonnes lois en font faire de meilleures, les mauvaises en amènent de pires. Sitôt que quelqu’un dit des affaires de l’État : Que m’importe ? on doit compter que l’État est perdu.
L’attiédissement de l’amour de la patrie, l’activité de l’intérêt privé, l’immensité des États, les conquêtes, l’abus du gouvernement, ont fait imaginer la voie des députés ou représentants du peuple dans les assemblées de la nation. C’est ce qu’en certain pays on ose appeler le tiers état. Ainsi l’intérêt particulier de deux ordres est mis au premier et second rang ; l’intérêt public n’est qu’au troisième.
La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. Le peuple Anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde.
L’idée des représentants est moderne : elle nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l’espèce humaine est dégradée, et où le nom d’homme est en déshonneur. Dans les anciennes républiques, et même dans les monarchies, jamais le peuple n’eut des représentants ; en ne connaissait pas ce mot-là. Il est très singulier qu’à Rome, où les tribuns étaient si sacrés, on n’ait pas même imaginé qu’ils pussent usurper les fonctions du peuple, et qu’au milieu d’une si grande multitude ils n’aient jamais tenté de passer de leur chef un seul plébiscite. Qu’on juge cependant de l’embarras que causait quelquefois la foule par ce qui arriva du temps des Gracques, où une partie des citoyens donnait son suffrage de dessus les toits.

Pour Rousseau les modernes regarde comme impossible l'assemblée de tout le peuple alors que c'est précisément la condition pour que le gouvernement n'usurpe pas la volonté générale du peuple. Certes les Romains ou les Grecs qui s'assemblaient excluaient tout un ensemble de personnes de la citoyenneté. En fait, il ne s'agissait pas d'une République mais d'une aristocratie ou d'une oligarchie mais on peut y voir une préfiguration :

Chapitre 3.12 Comment se maintient l’autorité souveraine

Le souverain, n’ayant d’autre force que la puissance législative, n’agit que par des lois ; et les lois n’étant que des actes authentiques de la volonté générale, le souverain ne saurait agir que quand le peuple est assemblé. Le peuple assemblé, dira-t-on, quelle chimère ! C’est une chimère aujourd’hui ; mais ce n’en était pas une il y a deux mille ans. Les hommes ont-ils changé de nature ?
Les bornes du possible, dans les choses morales, sont moins étroites que nous ne pensons ; ce sont nos faiblesses, nos vices, nos préjugés, qui les rétrécissent. Les âmes basses ne croient point aux grands hommes : de vils esclaves sourient d’un air moqueur à ce mot de liberté.
Par ce qui s’est fait, considérons ce qui peut se faire. Je ne parlerai pas des anciennes républiques de la Grèce ; mais la république romaine était, ce me semble, un grand État et la ville de Rome une grande ville. Le dernier cens donna dans Rome quatre cent mille citoyens portant armes, et le dernier dénombrement de l’empire plus de quatre millions de citoyens, sans compter les sujets, les étrangers, les femmes, les enfants, les esclaves.
Quelle difficulté n’imaginerait-on pas d’assembler fréquemment le peuple immense de cette capitale et de ces environs ! Cependant, il se passait peu de semaines que le peuple romain ne fût assemblé, et même plusieurs fois.

Et plus loin, il ajoute :

Chapitre 3.14 Suite

A l’instant que le peuple est légitimement assemblé en corps souverain, toute juridiction du gouvernement cesse, la puissance exécutive est suspendue, et la personne du dernier citoyen est aussi sacrée et inviolable que celle du premier magistrat, parce qu’où se trouve le représenté il n’y a plus de représentants. La plupart des tumultes qui s’élevèrent à Rome dans les comices vinrent d’avoir ignoré ou négligé cette règle. [...]
Ces intervalles de suspension où le prince reconnaît ou doit reconnaître un supérieur actuel, lui ont toujours été redoutables ; et ces assemblées du peuple, qui sont l’égide du corps politique et le frein du gouvernement, ont été de tout temps l’horreur des chefs : aussi n’épargnent-ils jamais ni soins, ni objections, mi difficultés, ni promesses, pour en rebuter les citoyens. Quand ceux-ci sont avares, lâches, pusillanimes, plus amoureux du repos que de la liberté, ils ne tiennent pas longtemps contre les efforts redoublés du gouvernement : c’est ainsi que, la force résistante augmentant sans cesse, l’autorité souveraine s’évanouit à la fin, et que la plupart des cités tombent et périssent avant le temps.

 On lira un prolongement ici.