jeudi 14 février 2013

"TOUT EST CONSCIENCE" OU NON ? Conscience, pensée et formes intelligibles des intuitions créatrices. Les secrets de la pensée (épisode 2).


Lorsqu’on affirme que "tout est conscience", on peut partir du constat qu'offre simplement la vision en première personne. Rien n'est perçu en dehors de cette conscience unique. Aucune autre conscience n'a jamais été perceptible. Bien entendu il ne faut pas ici confondre pensée(s) et conscience. Dans l'unique conscience, à côté de la voix de ma pensée personnelle surgissent d'autres voix qui expriment d'autres manières de penser. Mais toutes ces pensées n'ont jamais surgi que dans cette unique conscience.

Bien entendu, on peut faire des objections à cette approche qui semblera un peu d'un idéalisme naïf :

-1- si tout au fond de moi, je sourd de cette unique conscience qui en son sein fait tout apparaître, pourquoi n'ai-je pas accès à une toute puissance ?

-2- si tout est seulement dans cette conscience par laquelle j'existe en tant que personne, pourquoi l'autre à qui je parle voyant dans une autre direction a accès dans la conscience à ce que moi, je ne puis avoir accès ?

-3- cette hypothèse que tout est conscience ne rend pas compte de phénomènes inconscients qu'un autre peut percevoir comme me déterminant alors que moi agissant semble-t-il en conscience j'ignore ces causes qui me déterminent ;

-4- globalement la science pointe l'existence d'un substrat matériel déterminant pour mon corps et ma pensée que par cette conscience sans l'aide d'instruments adéquats je n'ai qu'une vague idée n'ayant affaire qu'à des surfaces colorées, des sensations olfactives, auditives, tactiles, gustatives ;

-5- cette conscience impersonnelle n'est-elle pas plutôt la prise de conscience de la nature matérielle inconsciente par une structuration d'elle-même ?

-6- la nature étant à sa racine radicalement inconsciente de son surgissement de rien, cette conscience impersonnelle dans laquelle sourd ma pensée personnelle n'éclaire que la surface des choses, la dimension mentale permet d'aller vers sa dimension inconsciente mais au final celle-ci nous échappe.

-7- passer de la confusion de cette conscience impersonnelle avec la pensée personnelle permet d'incarner la prise de conscience individualisée de la nature par elle-même, ce que Spinoza désignait comme le sommet de la connaissance du troisième genre par intuition. Cette connaissance produit joie par adhésion au réel et découverte d'une dimension atemporelle où peut s'éterniser l'ouverture où prend sens notre individualité. Mais cette conscience n'est pas celle de tout comme l'affirme Spinoza car ici le déterminisme n'est pas le fruit de la seule nécessité éternelle mais aussi d'une contingence hasardeuse, d'une impulsion aveugle émergeant de rien. Notre individualité permet la prise de conscience de l'ouverture à partir du rien d'où la nature surgit l'y amenant ensuite.

Remarque : cette ultime approche rappelle celle de Schopenhauer qui parle de volonté (aveugle) de la nature à la source de notre conscience. Notre version cependant n'aboutit pas forcément à la conclusion que la volonté de la nature est un égarement de ce sans fond ouvert (rien ?) qui produit tensions, douleurs et souffrances. Ce qui implique que la prise de conscience de la volonté de la nature n'est que ce qui doit précéder le retour au rien avant même qu'il ne s'ouvre à quelque chose. 
La volonté de la nature peut être aveugle ce qui se traduit parfois encore par le piétinement de l'ouverture individualisée mais sa surabondance qui en soi aveugle piétine souvent ceux qui pourtant la porte permet peut-être à une aventure évolutive de prendre place du point de vue de cet ensemble qui incarne sa prise de conscience.

Nous montrerons que certaines de ces objections à une expérience de "Tout est conscience " sont infondées mais que par ailleurs les affirmations concernant une Inconscience qui en arrière plan les motive n'empêchent pas de la réaffirmer en autre sens que celui d'un idéalisme naïf.

-1- un désir égocentrique manifesté mentalement dans cette conscience n'est en rien la possible "volonté" de cette conscience : cette conscience en première personne n'est pas au service de notre pensée-sentiment de nous-même en 3ème personne  au contraire il s'agirait que notre pensée-sentiment apprenne à s'aligner sur le Devenir de la conscience en première personne. En un certain sens je suis cette conscience en première personne mais de manière lointaine un peu comme une âme enfermée dans un corps (ici la finitude en troisième personne) qui lui ne permet pas de se comprendre pleinement dans ses actes. Il y a en première personne des ténèbres lumineuses qu'on ne peut qualifier mentalement.

-2- si dans cette unique "tout est conscience", la manifestation est "monadique" c'est-à-dire en perspective : il y a une structure psychologique qui à la fois voile et dévoile, il y a une structure biologique qui à la fois voile et dévoile, etc. L'autre ne voit donc pas ce que je vois, il ne pense pas ce que je pense, etc. Sans ce jeu de voilement et de dévoilement nous ne serions jamais la conscience individualisée de tout (un œil du tout sur lui-même) ou une conscience individualisée par l'aide du tout (une âme en évolution) mais directement l'unique conscience de tout. Mais ce jeu de voilement dévoilement n'obéit pas tout à fait à des limites fixées une fois pour toutes par un horizon mental et émotionnel ainsi que perceptif. Ainsi on peut se sentir observé alors que l'observateur est hors de portée de nos sens. Des jumeaux témoignent d'un vécu partagé à distance du point de vue de ces horizons. Ceci est aussi vécu par des disciples vis-à-vis de leur maître spirituel. Parfois un rêve dévoile un futur : c'est une expérience qu'un rêveur lucide assidu finira certainement par constater.

-3- si dans cette unique "tout est conscience", il y a des structures de voilement et de dévoilement qui permettent l'individualité, il y a effectivement des déterminations inconscientes à l’œuvre. Cependant l'individualité en adhérant à ce qui se dévoile adhère au plus près de ce qui lui est inconscient, elle est libérée de son vouloir qui ignore jusqu'à s'opposer à ce qui la détermine. Jusqu'où peut-elle connaître ce qui la détermine si "tout est conscience" ? connaître ici n'a pas seulement le sens mental.

-4- Il est vrai que le substrat matériel semble être voilé. La science m'indique qu'il est question d'énergie- espace-temps mais dans mon expérience ce que je ressens d'énergie-espace-temps n'est que pensée, émotion ou pulsion jamais vibration matérielle. Mais s'agissant de ce voilement, l'inconscient pour la manifestation de conscience humaine ne pourrait-il pas être une réalité consciente pour d'autres formes de vie à venir ? Chaque structuration conduisant à une conscience plus large n'a-t-elle pas inclut une forme de prise de conscience de l'inconscient ? La connaissance animale de la douleur est contemporaine d'une prise de conscience de l'environnement. La peur est liée à une anticipation de la douleur et donc à une conscience encore plus de notre environnement. Le souci mental élargit largement cette connaissance ; la conscience devient plus consciente de son tout et de son rien :
 
Par le biais de la dimension mentale nous avons une connaissance de la matière et des possibilités d'utiliser ses ressources que nulle autre forme de vie sur terre n'a eu avant nous. Ces révélations ont eu lieu par un élargissement de notre connaissance mentale. La démarche scientifique qui permet vraiment d'élargir en ce sens matériel notre puissance d'action est liée à une mentalité moderne. Ce sont des intuitions qui ont élargi la conscience humaine. Il y a comme une montée à une supraconscience par la venue d'intuition créatrice qui a permis la descente dans l'inconscience de la matière. L'expérience du physicien ou du mathématicien n'est pas celle d'aboutir à une nouvelle vision par suite d'un bricolage des vieux modèles, il s'agit de mettre en place des problématiques inédites qui montreront l'inanité radicale de tous les vieux systèmes de pensée, et dans cette ouverture ainsi suscitées vient une intuition créatrice qui éclaire ce qui demeurait inconscient. 

Une prise de conscience peut-elle émerger d'une moindre conscience ou n'est-elle pas plus simplement la révélation d'une supraconscience ? Les mathématiciens et les physiciens salués comme les plus géniaux témoignent unanimement de cette expérience. Ils sont instinctivement et par expérience quasi-platoniciens. Les biologistes eux ont des résultats en bricolant jusqu'à présent en héritant des modèles de ces prédécesseurs. Mais ne devront-ils pas un jour faire face à l'interdisciplinarité qui les mettra dans des situations problématiques qui leur donneront enfin l'envie de savoir ce qu'est une intuition créatrice sur le plan biologique ? Fritjof Capra témoigne d'une expérience momentanée de la matière comme vibrations de petites cordes lumineuses d'énergie. N'a-t-il pas été momentanément conscience de la matière ? L'intuition créatrice au lieu de nourrir une nouvelle vision mentale n'a-t-elle pas révélée la possibilité d'un saut évolutif (celui dont Sri Aurobindo et Mère font état) ? 

-5- Il ne s'agit pas seulement d'une prise de conscience de la nature par elle-même puisque l'individu en appelant ces intuitions créatrices semble pouvoir faire évoluer consciemment la nature et être de moins en moins celui que la nature oblige à s'adapter au plan évolutif.

-6- la dimension mentale de la conscience n'est pas le sommet évolutif où la conscience individualisée peut devenir consciemment le "tout est conscience". C'est la conscience non mentale en nous qui vraiment révèle que tout est conscience mais donc pour nous êtres mentaux, il s'agira toujours d'une docte ignorance. Le "Tout est conscience " est à la fois conscient et inconnaissable. Mais si on admet qu'il s'agit de notre point de vue de ténèbres lumineuses il ne faut pas exclure une supraconscience lumineuse.

-8- Le rien et son ouverture peuvent être le lieu d'un détachement. Mais le rien et son ouverture peuvent concerner les pensées, les émotions, les énergies internes jusqu'aux organiques. Dès lors détaché ainsi individuel d'où sourd le détachement individualisé de la conscience ? Ce détachement exclut-il toute aspiration à d'autres enchaînements de pensées, d'émotions, d'énergies ? Exclut-il une aspiration au silence mental, au calme émotionnel et à la tranquillité physique ? La libération exclut-elle obligatoirement une liberté transformatrice ? Le détachement de conscience exclut-il l'évolution consciente de la conscience individualisée ?
Remarque sur le divin et l'intuition créatrice : Il y a bien là une approche pouvant réactualiser ce qu'autrefois on appelait Dieu. Ce Divin, ce "Tout est conscience" qui se voile et dévoile pour évoluer individuellement à travers un cosmos qui s'individualise de façon multiple n'est le Dieu d'aucune religion qui ne peut n'être qu'un fossile évolutif d'un de ses moments évolutifs. Est-il personnel ou impersonnel ? Un ou multiple ? C'est là une question de moment évolutif...
Mais l'athée ou le spiritualiste qui fait de l'évolution un dynamisme inconscient ne peut pas clairement envisager et d'abord aspirer à cet élargissement incluant vraiment une dimension divine car surconsciente. L'intuition créatrice que le platonicien considérait comme une forme intelligible n'est pour lui qu'une libre association cérébrale à partir de mémoire stockée. Toutefois ceci n'explique pas qu'en affinant notre regard intérieur, on puisse voir les formes intelligibles avant de les exprimer comme des pensées verbales et que parfois parmi ces formes intelligibles on commence à en repérer de différentes teneurs avant même qu'elles soient entièrement exprimées en nous. C'est dans une idée qui s'est approchée et s'est échappée sans qu'on puisse l'exprimer qu'on aperçoit une forme intelligible. C'est dans la résorption intérieure d'un contenu de pensée ou plus encore dans le rejet de ce qui vient avant même que cela s'exprime que la forme intelligible se révèle au regard intérieur. Et puis il y a aussi la coloration de ces formes qui donne des indications. Le grand penseur ou le mystique savent que cette forme intelligible répondra à tel problème global et il en tire l'expression qui étonnement offre des réponses rationnelles à tous les sous problèmes du problème global. Une libre association a-t-elle ce pouvoir ?
On retrouve ici une question d'alignement de notre volonté sur le divin entendu comme élan créateur qui rappelle le "surrender" (l'abandon ou la capitulation de notre volonté) mystique à Dieu. Cependant ici il ne s'agit plus d'une simple acceptation grâce à un détachement de ce qui advient. Il s'agit de discerner ce qui répond à l'appel évolutif pour nous ici et maintenant.
D'ailleurs l'athéisme comprenant la reconnaissance d'un inconscient matériel nié par les religions est aussi un moment évolutif nécessaire pour envisager un matérialisme divin.

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