samedi 26 novembre 2016

LE SCEPTICISME COMME MOMENT SPIRITUEL NECESSAIRE VERS UNE SURMODERNITE.

PRÉAMBULE





Pour moi, il s'agit d'élaborer un humanisme surmoderne qui en intégrant modernité et postmodernité et en les dépassant accomplira peut-être le plus admirable du projet humaniste moderne encore inachevé. 

Une réflexion sur le scepticisme représente pour moi un passage obligé par la postmodernité qui peut nous aider à soupçonner presque la plupart de nos raisonnements rationnels d'outrepasser le plus souvent la modestie mentale qui serait nécessaire. 

Certains dépassent d'un bond le mental, d'autres doivent aller par le mental épuiser le mental au bout du mental. Le scepticisme authentique propose cette voie...

BONNE RENCONTRE AVEC LE DEUIL DES PRÉTENTIONS MENTALES  ÉTROITEMENT MODERNES AUQUEL LA DÉMARCHE SPIRITUELLE SCEPTIQUE NOUS CONVIE.



1 – Origine du scepticisme : la rencontre de Pyrrhon et d’Anaxarque avec les gymnosophistes.


Le scepticisme est apparu avec Pyrrhon. Pyrrhon et son maître Anaxarque ont développés une première philosophie sceptique où on ne peut pas savoir si ce dont on est conscient est réel ou illusoire, y compris soi-même. Ces deux philosophes de l’antiquité ont voyagé avec Alexandre le Grand jusqu’en Inde (IIIème siècle avant Jésus-Christ). En Inde, ils ont été très impressionnés par les gymnosophistes (un sage gymnaste). Un de ces sages gymnosophistes, Calanos, a d’ailleurs suivi l’armée d’Alexandre Le Grand. Aujourd’hui, nous savons que ces gymnosophistes sont soit des adeptes du jaïnisme qui rejette le moi et le monde comme illusion, soit des adeptes hindous du hatha yoga ou du raja yoga. Les deux futurs sceptiques ont assisté à l’immolation par le feu (il s’est offert au divin dans les flammes) du yogi Calanos. Cette capacité de brûler calmement et tranquillement dans les flammes prouve qu’on peut donc envisager tout ce qui apparait dans la conscience y compris la douleur comme illusoire.

La douleur est souvent invoquée scolairement pour ridiculiser le scepticisme. Il paraît clair que ceci ne peut pas ridiculiser le scepticisme authentique. Descartes lui même estime en soldat suffisamment aguerri qu'il est parfois plus facile de douter des sensations corporelles que des émotions ou de certaines pensées. Évidemment l'acte de Calanos pourrait n'être qu'une légende et le guerrier s'auto-persuade que la douleur peut être surmontée avant de la rencontrer. Certains actes contemporains montrent que la capacité de tenir la douleur comme une apparence est possible.



L'immolation en méditation du moine Thich Quanq Duc le 11 juin 1963 contre l'intolérance de Ngo Dihn Dierm au vietnam du sud a été filmée : cet homme a en lui la capacité d'échapper à la douleur.






Pour envisager la possibilité de douter de la douleur en dehors du surnaturel nous donnerons quelques pistes :



- parfois on se blesse sans s'en rendre compte à cause d'une concentration ;

- dans le sommeil profond une douleur importante peut disparaître ; 

- on peut se concentrer sur l'espace de conscience où apparaît la douleur et au cœur même d'une douleur il y a un espace sans douleur qui se révèle. 


Comment peut-on se convaincre cependant que tout ce qui est dans la conscience est illusoire ? Quel est l’intérêt d’envisager que tout soit illusoire ?



Thomas Nagel, un philosophe Américain contemporain, raconte une histoire du type qui suit :

Cette nuit, des extraterrestres, ou des savants fous, etc.… ont prélevé à chacun de nous leur cerveau. Ils ont mis tous nos cerveaux, dans une cuve spéciale, qui assure leur survie. On a fait des connections entre les neurones et un super ordinateur qui, ce matin, a reproduit la réalité. Quand notre cerveau se réveille, il envoie à certains neurones un message pour ouvrir les yeux. L’ordinateur lui donne des messages chimiques et électriques pour qu’il ait l’impression d’ouvrir ses yeux, mais aussi qu’il ait l’impression d’être dans son lit, dans sa chambre.


Qu’est-ce qui pourrait prouver qu’actuellement, notre cerveau n’est pas dans une cuve relié à un ordinateur ?


 

En première personne je me vois en promenade et un autre cerveau dans la cuve relié au même ordinateur me verrait en troisième personne en promenade. Comment pouvons-nous être surs qu’il n’y a pas un point de vue en troisième personne où nous serions des cerveaux dans une cuve reliés à un ordinateur ? Dans le film Matrix, les réalisateurs essaient de traiter cette question.
Cette hypothèse fictive nous parait un peu folle même si, techniquement, certains pensent qu’on s’en rapprochera dans des jeux vidéo 3D de plus en plus « hyperréaliste ».

Nous avons tous l’expérience d’un état de conscience où on ne sait plus très bien faire la différence entre la réalité et l’illusion. Certains rêves mettent la conscience dans l’embarras de savoir où est la réalité, où est la fiction. Tchouang-Tseu raconte qu’il a rêvé qu’il était un papillon. Mais son rêve était si convaincant qu’à son réveil, il se demandait s’il n’était pas un papillon qui avait rêvé être un homme en train de rêver.

Cette deuxième approche montre donc que la réalité de nos états de conscience est loin d’être un fait. Notre vie émotionnelle, comme le montre la psychologie, est remplie d’illusions.
Notre cerveau a des perceptions illusoires de phénomènes que seule la raison peut repérer.
Pour les physiciens, notre univers matériel n’est pas du tout ce qu’il semble être à notre échelle. En fait, la matière, qu’on croit située dans l’espace-temps, est comme un pli énergétique d’espace-temps. On peut prendre une image : la matière serait comme des vagues sur l’océan d’espace-temps.

Le doute est une méthode, chez les sceptiques de l'Antiquité elle vise à atteindre l’ataraxie. L’ataraxie est une profonde tranquillité de l’esprit, une sérénité qui ne dépend pas des circonstances, qu’elles soient favorables ou défavorables en apparence. L’intérêt de douter est donc d’atteindre un état de bonheur que rien ne peut troubler.
Le doute permet de se détacher mentalement, émotionnellement, physiquement, des contenus de la conscience. Or nos souffrances comme nos enthousiasmes sont des émotions, détachés des souffrances et des enthousiasmes nous sommes sereins. La douleur ou la santé de même sont des sensations, détachés des sensations nous sommes sereins et tranquilles quoi qu’il arrive à notre corps.
De cette approche, quelles connaissances pouvons-nous tirer à propos de la conscience ?
Pour le sceptique, la conscience, du point de vue de ses contenus, n’est qu’un ensemble d’apparences. Le mot « apparence » a deux sens :
- 1er sens : L’illusion ;
- 2e sens : La chose telle qu’elle est apparue.

Par exemple, le miel apparaît bien dans mon esprit lorsque j’en mets dans ma bouche. Je ne peux pas le nier. Mais est-ce que je connais l’ultime vérité du miel ?
Comme le rappelle Sextus Empiricus qui propose l'exemple précédent, le sceptique, grâce au doute, renonce à affirmer ou à nier l’ultime réalité du miel. Le sceptique s’exerce au doute, mais il ne conclut pas que tout est illusoire. Il ne sait pas si ce qui apparaît dans sa conscience est réel ou illusoire. Il doute pour atteindre une absence de conclusion.
 
Ainsi un authentique sceptique n’est jamais fondamentalement triste, jamais fondamentalement joyeux même s’il peut exprimer de la tristesse ou de la joie car il ne conclut jamais, il est serein, calme et tranquille en profondeur quelles que soient ses émotions en surface.

2 – La zététique. Pratiques de base.

La zététique est un art de se questionner pour mettre en doute toute affirmation dogmatique :

(a) - Le non accès à la réalité ultime est alors réalisé. Il reste seulement des questions : l’apparence est-elle le reflet d’une chose en soi ? N’y a-t-il qu’une « forêt » infinie d’apparences ? 

L’inconnaissabilité de l’existence ou non d’une réalité ultime implique l’impossibilité d’affirmer une vérité sinon dogmatiquement.


(b) -  La zététique intègre les objections au scepticisme et les réponses sceptiques fondées sur le doute au carré : douter et douter de ses doutes revient à consolider la logique sceptique du « pas plus A que pas plus Non A ».


[Rappel] : l’objection de la douleur qu’on émet contre le scepticisme est la plus ridicule au vue de l’histoire du scepticisme qui s’est constitué précisément au regard de la rencontre de gymnosophistes capables de s’immoler par le feu en considérant la douleur comme une illusion.
[cf. la version courte de ces arguments sur le site du lycée à la page : http://www.lyc-vinci-st-witz.ac-versailles.fr/spip.php?article337&var_mode=calcul]

i – 1ère objection : le doute est-il une pathologie psychologique ?

Rappelons que le doute pathologique comme l’est l’angoisse où nous avons peur de tout et de rien, où la position de notre moi est menacée de l’extérieur nie la faculté de douter volontairement. Un pouvoir est à notre disposition, il ne s’effectue pas malgré nous. Mais même si le doute est volontaire ne nourrira-t-il pas l’angoisse ? Une passion comporte toujours une part volontaire mais rapidement elle commande la volonté. La passion de douter n’est-elle pas une prise de risques psychologiques inconsidérée ?
En fait le doute pathologique est rarement un doute radical ou absolu car douter radicalement ou absolument implique de douter de tous les contenus de la conscience y compris de l’état de doute. Le doute pathologique est subi passivement, il semble incontrôlable pour quelqu’un qui justement n’a jamais exercé le doute radical consistant à douter de tous les contenus de conscience y compris de son doute qu’il soit actif ou passif.
Toute démarche psychothérapeutique visant à surmonter l’angoisse, la mélancolie et autres passions déstructurantes ne consiste-t-elle pas à remettre en chantier les structures mêmes de l’ego et donc à douter de ses structures actuelles qui produisent une telle souffrance déconnectée des situations vécues par le patient ?
Dans la démarche sceptique tout contenu de conscience est nommé apparence car ce terme désigne ce qui paraît sans qu’on puisse déterminer si cette apparition est illusion ou réalité. Chez Descartes le redoublement du doute permet de repérer un « je suis » à la fois personnel et universel inaccessible au doute qu’il soit volontaire ou pathologique. Les sceptiques aussi doutent de leurs doutes si bien qu’ils ne peuvent pas trancher entre les diverses interprétations de l’essence ultime des apparences y compris de ce « je suis » implicite à toute impression consciente et non seulement aux objets de notre attention. Les apparences ne sont-elles pas le reflet d’autres apparences et ainsi de suite à l’infini si bien qu’on ne saurait conclure si elles sont illusoires ou réelles quant à leur essence ultime ? Le doute a permis de les considérer comme illusoires, le doute à propos du doute n’exclut pas leur réalité. Le doute redoublant le doute crée donc une suspension du jugement sur l’essence ultime des apparences ou autrement dit il engendre un esprit d’absence de conclusion. Car plus profondément encore, le doute à propos du doute étant encore une apparence, cette suspension du jugement ou cet esprit d’absence de conclusion se découvre comme arrière-plan toujours déjà là de conscience ataraxique, c’est-à-dire de parfaite tranquillité et de totale équanimité quelles que soient les apparences. Les sceptiques authentiques sont donc parfaitement tranquilles même si dans leur esprit il y a la peur, l’angoisse ou n’importe quelle souffrance psychologique. Le doute redoublé guérit donc les formes pathologiques du doute en révélant un espace de conscience inaccessible aux troubles psychiques.
ii – 2ème objection : douter du danger ne risque-t-il pas d’être fatal ?

Mais si le doute radical relativise la souffrance psychologique comme la peur, voyant le précipice là devant et doutant des apparences vais-je y plonger ? Vais-je douter de tous les messages sensibles de mon corps qui assure ma survie à travers la sienne ? La passion du doute n’est-elle pas alors nuisible à ma survie matérielle par sa relativisation radicale des messages des sens ?
En suivant Descartes et les sceptiques au nom du doute radical et donc redoublé, il faut douter des sens pour discerner qu’ils ne sont qu’apparences et doutant du doute il faut jouer le jeu des apparences. Pendant le temps du doute radical nous sommes comme un personnage principal dans une fiction cinématographique qui respecte un scénario crédible et donc ne se suicide pas d’entrée de jeu.
iii – 3ème objection : douter ne conduit-il pas à l’immoralité ?

Cependant si la passion de douter radicalement est une prise de risque souhaitable pour en finir avec la souffrance psychologique voire pour relativiser la douleur, on peut s’interroger sur ses effets sociaux. La passion de douter n’est-elle pas une passion profondément égocentrique qui permettra à l’ego de douter à son avantage de toutes les normes morales ?
Là encore il s’agit de redoubler le doute radical. Chez Descartes la morale provisoire n’est pas seulement quelque chose qu’on exclut du doute, c’est l’effet du redoublement du doute. La morale est ce dont il est le plus facile de douter car ses normes ne sont pas de façon évidente universelles : ici il est indifférent de montrer la plante de ses pieds, là-bas en Thaïlande ceci est d’une grande impolitesse. Cette facilité de douter de la morale est suspecte : mieux vaut être conformiste dans le domaine moral car il y a des raisons de douter du doute radical à l’égard de la morale. Le conformisme sceptique n’est ni une adhésion à la vérité de la morale ni non plus une négation pure et simple d’une vérité morale.

D’ailleurs en suivant les sceptiques, il faut s’exercer aussi au doute simple car le redoublement du doute est inauthentique s’il est incapable de jouer parfaitement le jeu des apparences sociales parce qu’on s’identifie aux peurs, aux désirs plus ou moins égocentriques, à la souffrance psychologique et à la douleur physique. Le sceptique parce qu’il doute authentiquement respectera mieux la morale qu’un autre. Il sera parfaitement libre de ses désirs égocentriques s’il a réussi à en douter intégralement et à partir de là il pourra paradoxalement être parfaitement conforme sceptiquement à une morale qui exige de sacrifier ses désirs égocentriques. Plus précisément, les apparences mentales rassemblées et identifiées sous une position égocentrique, c’est-à-dire comme désirs et volontés d’un moi risquent de nier la mise en doute de toute position et de toute certitude mentale. Le sceptique authentique n’a aucune position à défendre dans l’idéal de son authenticité et plus particulièrement en ce qui concerne la position de son moi égocentrique. Utiliser le scepticisme pour justifier une position égocentrique revient à ne pas redoubler de doute. Si tout me paraît être apparence comment aurai-je envie de nier par le meurtre les apparences d’autrui ? Si tout n’est qu’apparence quel profit aurai-je à voler des apparences ? Etc. L’immoralité procède toujours par le fait que la conscience intentionnelle de moi-même considère comme une réalité plus que désirable telles et telles choses au mépris des autres. Et l’apparence plus que désirable s’origine dans les circonvolutions mentales visant à maintenir une position égocentrique. Le désir d’un moi égocentrique ne saurait se contenter d’être apparent et fictif, le désir d’un moi égocentrique est narcissique : il se fantasme sérieusement, il ne joue pas à s’imaginer. Le sceptique ne méprise rien, il considère l’ensemble des apparences et même s’il ne statue pas sur l’essence ultime du jeu des apparences il le joue tranquillement et avec équanimité en le considérant dans sa globalité et non plus du point de vue de ses intérêts égoïstes. Jouer le jeu amoral de la morale est plus tranquille et tend plus facilement à considérer la globalité du jeu des apparences qu’être immoral. Douter authentiquement de la morale n’est pas être immoral mais redevenir amoral par le chemin de la morale.

(c) - Les 5 modes d’Agrippa ou les limites des rationalités :


Les modes d’Agrippa permettent de mettre en cause l’idée d’une rationalité universelle, unique et fondée. Car on pourrait au final accuser les sceptiques d’utiliser la raison pour fonder leur point de vue sur l’ignorance de l’existence d’une vérité absolue. En effet l’affirmation qu’il n’y a pas de point de vue absolue ne semble-t-elle pas se prétendre absolue ? Eviter cette contradiction performative passe par une déconstruction des rationalités.
i – La discordance de toute thèse avec son antithèse ne peut être tranchée (on ne peut pas trancher entre A et non A qu’on peut argumenter également).

ii – Les axiomes peuvent être considérés comme des hypothèses car il n’y a pas d’intuition vraie d’un axiome. Par exemple on peut défendre le tiers inclus (non non A n’est pas forcément A) contre le tiers exclu (non non A = A).

iii – On n’échappe pas à des régressions à l’infini dans les raisonnements et les explications des phénomènes (contre Aristote qui prétend qu’il faut présupposer un premier moteur divin de l’univers pour ne pas tomber dans des absurdités).

iv – On n’échappe pas à des cercles vicieux (diallèles) où pour démontrer A, on démontre B et pour démontrer B on présuppose A ; il y a un cercle de la démonstration qui la rend peu convaincante.

v – On n’échappe pas à la relativité de l’assentiment individuel et culturel. L’assentiment à un énoncé, la certitude ne coïncide pas forcément avec la vérité. L‘assentiment est relatif à des exigences de rationalités diverses. Descartes avec l’hypothèse d’un dieu trompeur (d’un dieu tout puissant qui loin d’être bon serait cruel et jouirait de voir les hommes croire n’importe quoi et se tuer pour leurs « vérités ») montre qu’on peut disjoindre la certitude intérieure de la vérité.

(d) – Bilan : 

Il n'y a pas de vérité cohérence, pas de vérité-correspondance et pas de pragmatisme indiscutable du point de vue des valeurs et au niveau de la fiabilité de l’induction.


3 – La suspension du jugement (épochè).


La suspension du jugement est le fruit de la zététique. Toute conclusion n’est que relative et jamais définitive. Ce point revient à ne jamais essentialiser aucun jugement. Il y a là une éthique qui n’est pas sans rappeler les mises en garde de Jésus-Christ contre le jugement. Il est facile de voir la paille dans l’œil de son voisin sans voir la poutre dans le sien. Suspendre son jugement, se tenir dans l’absence de conclusion définitive évite de s’essentialiser et d’essentialiser les autres. Il est facile de se croire condamner à être prisonnier de tel défaut : c’est une essentialisation. Il est facile d’étiqueter l’autre comme ci et comme ça : ceci revient à nier sa liberté. Le racisme procède aussi souvent par essentialisation : dans telle culture on est comme ça. Or si aucune essentialisation n’est jamais définitive, on est ouvert au changement, on ouvre en soi l’espace pour que l’autre change. Dans une activité éducative, l’absence de conclusion et d’essentialisation est donc essentielle.

4 – L’aphasie ou la découverte d’un fond de silence intérieure où se relativise les pensées.


Celui qui observe ainsi ses pensées comme des conjectures, des fictions sera plus apte à percevoir entre deux pensées un arrière-plan de silencieux au sens où la pensée se déploie forcément sur une conscience vide sans pensée. Cette interprétation de l’aphasie résout l’énigme apparente d’un sceptique bien bavard pour quelqu’un qui affirme expérimenter l’aphasie. On peut parler sans perdre de vue l’espace de silence dans lequel s’inscrivent les syllabes formant nos pensées. De façon semblable, un musicien sait que le son des notes s’inscrit toujours sur un espace de silence où il vient se superposer avec celui d’autres notes. D’ailleurs les sons entendus prennent sens avec des sons mémorisés qu’on entend plus comme les syllabes font des mots et des pensées à l’aide de la mémoire où ceux qui précèdent se sont entreposés. Prendre conscience de l’espace silencieux où toutes ces opérations s’effectuent est selon nous l’expérience de l’aphasie. Ici l’aphasie n’a donc rien à voir avec la pathologie qui empêche de parler et de communiquer. L’aphasie est par contre la faculté d’attention silencieuse toujours disponible permettant de voir les pensées comme des pensées et non comme des vérités. Dans l’aphasie la pensée « j’ai mal » n’a pas mal. Dans l’aphasie, la pensée « j’ai mal depuis deux jours » s’avèrent une fiction qui ne peut pas contribuer à créer le désespoir face à la douleur. L’aphasie s’immisce aussi dans les émotions, les désirs et les sensations qui ne sont plus essentialisées et absolutiser par la pensée. L’aphasie est un espace de fluidité au cœur des apparences. Le chœur des apparences est un ballet dans un océan de silence où chaque apparence apporte sa petite goutte d’arrière-plan silencieux.

5 – L’ataraxie comme grâce et non comme fruit d’un effort ou d’un désir de l’ego.


La sérénité ne peut être l’objet d’un effort ou le fruit d’un désir de l’ego. A vrai dire tant que l’ego convoite la suspension du jugement et s’empare de la liberté liée à l’aphasie, il ne peut y avoir une sérénité qui couronne le calme et la tranquillité intérieure. Cette idée que l’ataraxie surgit quand on ne la cherche plus ressemble à la grâce monothéiste où au final Dieu illumine et parfait l’âme dès lors que l’ego renonce à soi dans l’humilité. Un parallèle très net existe aussi avec le bouddhisme ou le vedanta hindou selon lesquels la réalisation spirituelle ultime est relativisation définitive de l’ego devant la prise de conscience d’une conscience impersonnelle. Sextus Empiricus pour expliquer cette idée prend l’exemple du peintre Apelle contemporain d’Alexandre le Grand qui ne parvenait pas à faire l’écume d’un cheval à l’aide d’une éponge. De rage il avait jeté l’éponge et soudain l’écume espérée était apparue sur la peinture du cheval. Ainsi l’ataraxie se réalise donc selon les sceptiques quand vraiment l’ego est vécu comme une apparence aussi bien que toutes les autres. C’est-à-dire que l’ego renonce à produire la libération ultime et que soudain la vie de l’esprit bascule dans une conscience qui n’est plus égo-centrique. Ce fond sans fond de l’ataraxie est une pure gratuité qui n’enlève rien à l’inconnaissance d’une réalité ultime. Cependant il s’avère étranger à la souffrance psychique car toujours intègre en arrière-plan de toutes nos souffrances psychiques et de même il peut s’avérer un arrière-plan intangible de la douleur au cœur même de la douleur.
 

6 – L’abandon de la tentation de tout démontrer revient à abandonner toutes les tentations d’idéologies totalitaires. La sagesse sceptique ouvre à une conception de la vie publique comme relativisme des valeurs.


Premièrement, la méthode sceptique dans une discussion permet une émancipation des préjugés et des autorités dogmatiques qui au fond travaillent à la rendre inauthentique. Ce scepticisme seul permet à la postmodernité de s'opposer avec la modernité contre la prémodernité tout en se distinguant de cette dernière. L'argument de Montaigne dans ses Essais nous invitant à envisager que nous aurions pu être complètement imprégné d'une autre culture en naissant ailleurs est un procédé pour réaliser que notre identité culturelle n'est qu'une apparence. Toute absolutisation de l'identité culturelle est inauthentique. Mis en face de leur inauthenticité, ceux qui tiennent à leurs préjugés et à leur autorité dogmatique risquent de vouloir user de violence pour se préserver. Un authentique exercice du scepticisme ne fera pas usage de violence quand la discussion lui sera désavantageuse. S’il a à utiliser lui-même la violence, ce sera face aux ennemis de la discussion : face à un nazi, et plus généralement face à un fanatique qu'il soit idéologique ou religieux. Ces ennemis du dialogue ne sont jamais convaincus par un discours de vérité. Chercher à les convaincre d’une autre vérité est sans effet, il faut davantage les persuader en les touchant émotionnellement soit par la douceur, soit par la force (violente ou non à leur égard) provenant d’un sens renouvelé d'un pouvoir partagé démocratiquement.
Deuxièmement, si on confond conscience et ego, certes, l’attitude sceptique peut entraîner une forme de solipsisme mais si la conscience qui doute, doute authentiquement tout autant de l’ego, de l’autre et du monde, où est alors le solipsisme ? La conscience elle-même comme théâtre de soi, de l’autre et du monde mis en doute, où est le solipsisme ? Enfin pour le sceptique le doute est aussi fort que l’assentiment donc être sceptique signifie être agnostique quant à la réalité ultime de l’apparence d’une rencontre entre moi, l’autre et le monde. Ainsi pour ceux qui font usage d’un scepticisme authentique le solipsisme est inhérent à toute interprétation égocentrique de la conscience qui au fond est le pire obstacle à l’authenticité de la discussion. Dans sa version intersubjective, le solipsisme est ethnocentrisme, forme d'égocentrisme identitaire malheureux et toujours tragique. 
Mais reconnaissons-le nos démocraties modernes butent aussi sur ce solipsisme égocentrique qui les conduisent à la Ploutocratie (au pouvoir des valeurs d’enrichissement) ou à des désirs croissants de hiérarchies sociocentriques menaçant de mettre un terme au pluralisme démocratique.
Le sceptique postmoderne peut enrichir le débat démocratique d'un nouvel humanisme appelant à transcender et à relativiser tous les réflexes identitaires y compris ceux d'un modernisme humaniste.

Pour un sceptique, l’apparence (au sens conceptuel sceptique authentique bien sûr !) d’unité de la rencontre entre moi, l’autre et le monde subsiste quand la multiplicité des points de vue s’est épuisée dans le dialogue dialectique. Cette unité de la rencontre qui seule subsiste n’a aucune portée gnoséologique : elle est juste apaisée par la suspension du jugement caractéristique de la dialectique sceptique. Elle est apaisée car aucun point de vue n’est privilégié dans la conscience que ce soit le mien, l’autre ou celui de l’expérience du monde. Il n’y a plus d’individualisme égocentrique, d'ethnocentrismes, d'universalismes particuliers, d’altérités transcendantes prétendant nous soumettre à une vérité dogmatique quand le scepticisme l'emporte. Enfin dans cette rencontre, il n'y aurait plus de scientisme privilégiant aveuglément l’approche technoscientifique de l’expérience du monde. La valorisation d'un principe de précaution en tant que forme juridique d'une suspension du jugement semble nécessaire par rapport à cette surenchère technocentrique et technocratique de la raison mentale moderne.
Mais cette unité de la rencontre qui suspend le jugement est-elle apte à susciter une action commune ? Ne faut-il pas au moins s’accorder intellectuellement et affectivement sur un contenu pour agir ensemble ? A vrai dire le scepticisme ne voit pas d’autre action à accomplir que celle de la suspension du jugement qui intrinsèquement apporte la paix commune vis-à-vis de la pluralité infinie des valeurs, du jeu indéfini des émotions et des sensations. L'action d'un scepticisme postmoderne sera pragmatique et précautionneuse vis-à-vis de la préservation et de l'amélioration de la convivialité de la rencontre et de son environnement.

Dès lors le scepticisme n'est-il pas conduit à reconnaître qu’une partie de nous-même même fictive appartient à une communauté et interagit sur la qualité d’ensemble d’évolution du monde humain ? Même si nous avions l’expérience en profondeur de la suspension du jugement, une partie de nous, même si elle est fictive reste impliquée dans la qualité d’élaboration d’un sens culturel commun qu’il soit familial, clanique, ethnique, civilisationnel ou aujourd’hui mondial et qu’il s’élabore mentalement, affectivement et sensitivement.

Ici le scepticisme souhaitant demeurer dans sa paix intérieure peut intégrer dans un pluralisme démocratique l’idée d’un relativisme des valeurs qu’il s’agit de promouvoir dans la vie démocratique pluraliste pour répondre au mieux à la nécessité d’agir. Il défendra une fraternité ouverte à la diversité culturelle.


 

7 – Critique des limites du scepticisme et par conséquent du relativisme : vers une surmodernité.


1 – Les critères d’authenticité du scepticisme (ou du relativisme pluraliste qui peut se fonder sur lui) impliquent un retour à une forme de vérité bien que les postmodernes le nient. Il y a dès lors une validité de certains critères concernant les vécus subjectifs d'une intériorité et surtout à propos de l'identification ou non identification à eux. 

2 - S’il n’y a pas une validité absolue d’un vrai, d’un bien et d’un beau qu’on puisse établir par la pensée, il n’empêche que malgré eux, les sceptiques contribuent à nourrir une idée d'une vérité non mentale. Et dès lors du point vue mental, il y a de la fausseté, de l’inexactitude de certaines affirmations, il y a des maux et bien entendu du laid. L’idée d’un tout démontrable, d'un système absolu de la pensée est certainement à abandonner mais réduire les sciences à des valeurs et rejeter tous les processus d’invalidation conduirait à une faillite éthique, morale et politique. 

La postmodernité relativiste et sceptique a été un stade nécessaire contre les régressions modernes vers des nostalgies prémodernes totalitaires. Il y a un apparent revirement de Claude Levi-Strauss, ce postmoderne par excellence admiratif du scepticisme, en ce qui concerne la rencontre des cultures à l'égard de l'Islam. Celui-ci vient peut-être de cette prise de conscience que l'Islam moderne produirait plus encore que le djihad de l'Islam prémoderne un totalitarisme d'un nouveau type. 

Une surmodernité semble recouvrer un sens de la vérité d'une authenticité créatrice que la créativité postmoderne néglige. Le postmoderne défend une convivialité et valorise la créativité au lieu du progrès moderne uniforme. La surmodernité entendrait intégrer politiquement une évolution des mentalités en s'appuyant sur des faits spirituels expérimentaux. A partir de là s'impose radicalement une critique spirituelle à l'égard des combinaisons de modernité et de prémodernité (socialisme ethnocentrique ou ultralibéralisme économique sociétalement conservateur) qu'on nous sert politiquement aujourd'hui contre les combinaisons décevantes de modernité et de postmodernité (formes de social libéralisme plus ou moins libertaires).

Nous voulons dépasser, en tout bien tout honneur, les impasses mentales de la postmodernité et de la modernité en rompant définitivement avec les compromis politiques avec les plus obscures parts des mentalités prémodernes. Nous devons donc insister sur le point qui suit et qui seul transcende le scepticisme et donc le relativisme postmoderne :

3 - C’est du côté de l’intériorité en première personne et d'une authenticité de notre positionnement personnel en cette intériorité qu’on peut montrer l’expérience d’une vérité plus aisément que dans la direction d’une science expérimentale de l’extériorité (en troisième personne). Car du côté intérieur, il n'y a pas qu'une forêt d'apparences sans fond contrairement à ce qui se présente comme l'inconnu de chacune des avancées scientifiques. Les faits intérieurs ne forment pas une forêt infinie d'apparences : ils sont plutôt l'approfondissement infini d'une unité de l'innombrable. 

Cette vérité ouverte et AUTOCREATRICE rend obsolète les prétentions religieuses prémodernes qui utilisent les failles postmodernes pour resurgir. Elle relativise fortement le scientisme et le technocratisme ploutocratique moderne. Elle n'y voit que des apparences de savoir. Elle dépasse définitivement le scepticisme postmoderne en le rendant plus authentique encore c'est-à-dire en valorisant une nécessaire modestie des prétentions de la conscience mentale caractéristique de l'espèce humaine.

Cette vérité est, en effet,  en profondeur non mentale. Elle est vécue intuitivement et son expression mentale n'est jamais qu'une apparence. Elle caractérise un dépassement de la modernité par le biais de la postmodernité vers une surmodernité.



La modernité a opposé les science (les faits objectifs) et les valeurs universalisables (les valeurs objectives) à l'obscurantisme et à l'autoritarisme prémoderne.

La postmodernité en mettant en doute l'objectivité revendique un statut pour un individu s'individualisant à travers des valeurs subjectives conviviales mais la postmodernité ne parvient plus à s'allier à la modernité pour empêcher le retour des communautarismes prémodernes. En France, les formes de social libéralisme plus ou moins libertaires n'ont pas obtenus de résultats probants face à la crise évolutive en cours dans ses dimensions écologiques, économiques, familiales, culturelles et religieuses.
Dans les pays occidentaux actuellement avec par exemple Trump, les nouveaux conservateurs anglais, en France aussi, une part de la modernité participe contre la postmodernité à des alliances contre-nature avec une prémodernité jouée contre les autres. En France, il y a prédominance politique d'un socialisme ethnocentrique et/ou d'un ultralibéralisme économique sociétalement conservateur voire réactionnaire sur le plan des mœurs. 


La redécouverte du fait subjectif de la conscience non égocentrique et de son authenticité ouvre de nouvelles configurations possibles d'une alliance entre modernité et postmodernité sous la houlette d'une surmodernité s'imposant enfin comme une nouvelle composante distincte des deux autres.

Il n’y a pas d’un côté un subjectivisme des valeurs plus ou moins vivifiantes et ouvertes (la postmodernité couvrant un retour de la prémodernité) et de l’autre un objectivisme des énoncés falsifiables donc plus ou moins valides (la modernité). Il y a une manifestation de la vie intérieure intégrant plus ou moins de vitalité et conquérant plus ou moins son inconscience matérielle.

mardi 28 juin 2016

PISTES VERS UNE LAÏCITE 3.0



1) ANALYSE DU PROBLÈME :

Se poser la question de la laïcité revient à se poser selon nous les questions de savoir d'une part si liberté(s) et religion(s) s'excluent et d'autre part si un espace politique peut être conçu pour éviter cette exclusion entre liberté(s) et religion(s).

A - LA TOILE DE FOND DE NOTRE RÉFLEXION :


Nous considérons avant tout l'unité et la diversité du phénomène religieux sous l'angle du rapport à la liberté comme représentation du rapport communauté/individu et des expériences de libération spirituelle.
On peut considérer une approche anthropologique et phénoménologique qui voit un ensemble d’éléments communs à toutes les religions :
Cette schématisation pointe aussi les tendances du religieux à créer des exclusions pour produire des inclusions :

Mais on peut insister sur la nécessité de considérer différents types de religiosité en fonction précisément des représentations du sens communautaire et du sens de l’individualité. 

Nous partons aussi de l’hypothèse d’une évolution des mentalités dans les différentes cultures telle que la spirale dynamique de Clare Graves, Don Beck et Christopher Cowan l’interprète :


 

Ceci s’applique évidemment aux cultures religieuses :
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Le rapport entre liberté et religion met donc en jeu les représentations et donc les mentalités qui définissent un rapport entre communauté et individu.
On peut tenter de peaufiner cette conception en suivant le philosophe américain Ken Wilber qui intègre l’idée que la dimension spirituelle d’une mentalité religieuse touche à des dimensions de vécu commun avec celle d’une autre qui semble plus élaborée :
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Sur la ligne verticale de ce schéma inspiré du philosophe américain Ken Wilber, nous avons les différents types de conceptions communautaires attachées aux différents types de religiosité. Sur la ligne horizontale nous avons le rapport entre un type de mentalité religieuse et différents niveaux de spiritualités compris ici comme perception de l’intériorité [Voir en annexe 1 le dernier tableau qui image davantage cette ligne horizontale]. 

Ce schéma n’exclut donc pas que certaines expériences spirituelles liées à une mentalité prémoderne par exemple peuvent être plus profondes que d’autres liées à une mentalité hypermoderne moins superstitieuse...

Cette approche nous invite donc à distinguer libération spirituelle et représentations mentales religieuses de la liberté dans le rapport entre communauté et individu.

B - REPRISE DU PROBLÈME : On peut envisager la liberté sur 3 plans et reposer la question du rapport entre religion(s) et liberté(s) relativement à ces 3 plans.


Il y a à l’évidence un domaine politique de la liberté qui demande de concilier la liberté de conscience et d’expression individuelle avec les contraintes sociales nécessaire à l’établissement d’un État conférant aussi aux individus une puissance résultant du collectif sans laquelle la liberté individuelle resterait impuissante. 




Comment valoriser la solidarité républicaine tout en promouvant les libertés individuelles y compris religieuses ? Comment éviter l’éclatement de l’État républicain à cause d’un affrontement des communautarismes religieux et ethniques ? Comment ne pas sacraliser le républicanisme au point de mépriser les garanties libérales de la liberté individuelles ? Faire une religion républicaine qui aurait l’exclusivité du politique ne saurait convaincre de l’inopportunité du communautarisme religieux à prétention théocratique plus ou moins avouée. La religion est ici essentiellement ce que des latins comme Augustin considère comme son origine étymologique à savoir « religare » (re-lier). Autrement dit la religion est ici à la fois d’une part lien communautaire prescrivant sacrifice et dénonçant sacrilège et d’autre part elle est lien personnel et intime au divin ou du moins à une représentation du divin.

Il y a un domaine moral où se joue la liberté. Agit-on par penchant psychologique pulsionnel ? Si tout acte se réduisait à des penchants le causant, toute conception de la responsabilité morale serait sans aucun doute obsolète. Toute religion propose de briser le cercle de l’action et de sa justification par les préférences immédiates des penchants. Agit-on par contrainte(s) sociologique(s) plus ou moins intériorisée(s) ? Ou devons-nous développer une réflexion rationnelle caractéristique d’un arbitre libre et donc autonome ? L’hétéronomie n’est-elle pas le fait essentiel des religions ?  Et dans ce cas l'éducation laïque à l'autonomie réflexive exclut les conceptions religieuse traditionalistes nourrissant la seule hétéronomie.

L’infantilisation religieuse de nos comportements est-elle la norme de toute pensée religieuse ? Ou bien n’est-elle le fait que des niveaux de mentalités prémodernes de la vie religieuse ? La religion comme respect scrupuleux d’un corps de pratiques et de rituels croise le sens de « religere » en latin que Cicéron affirme être l’étymologie véritable du mot religion.

Enfin il y a un domaine spirituel qui met en jeu la libération de notre misère existentielle. Ceci ressort au domaine de la liberté au sens métaphysique. Car aurait-on une perfection morale et politique, nous resterions confrontés aux questions de la mort et si l’on reculait les frontières de la mort ce serait la question du sens de la vie et donc de la manière de vivre qu’il faudrait reposer. D’ailleurs concernant l’amour et le bonheur, la morale n’a que ses exigences à rappeler et ses devoirs d’espérance à réitérer et non des clés précises d’obtention à suggérer. La politique et la morale peuvent créer des conditions matérielles et sociales favorables à l’amour et au bonheur mais non les susciter comme vécu personnel. L’enjeu est de savoir si les religions dans la situation présente permettent de surmonter la misère existentielle par affaiblissement de la vitalité, ce que Nietzsche a pointé comme l’aboutissement nihiliste de nos civilisations ou si elles offrent encore des potentialités d’assumer nos insatisfactions existentielles en vivifiant nos existences et nos cultures. Ici il faudrait penser la religion dans le droit fil du linguiste Emile Benveniste qui assigne à la religion l’étymologie de « religere » mais au sens de recueillement extérieur et intérieur.


I - FAIBLESSES DU CHEMINEMENT SPIRITUEL INDIVIDUALISTE FACE AUX FORCES RELIGIEUSES COMMUNAUTARISTES.


A - TOUTE RELIGION PROMET DE SE LIBÉRER DES DIFFICULTÉS SPIRITUELLES POSÉES PAR LA MORT, LE SENS DE LA VIE ET LA QUÊTE DU BONHEUR.


Elle peut proposer des techniques spirituelles de recueillement (religere) pour expérimenter intérieurement des réponses vécues. La méditation inspirée des pratiques bouddhistes, le yoga emprunté aux enseignements hindous, le qi gong issu du taoïsme connaissent un succès grandissant dans les populations postmodernes. Mais ces gens appartiennent-ils à une religion ? Ils font un usage respectueux de spiritualités religieuses mais appartiennent-ils vraiment à une religion ? Ne créent-ils pas leur propre religiosité ? Si une synthèse rationnelle est possible, leur liberté et leur religiosité se « synergiseront » sans doute.
Avant de moquer à l’emporte-pièce cette démarche comme irrationnelle et d’émettre des doutes et des critiques légitimes, notons qu’elle prolonge dans les mentalités postmodernes la démarche moderne des lumières consistant à extraire des religions dogmatiques, superstitieuses et intolérantes une spiritualité déiste tolérante, rationnelle et ouverte aux critiques et aux doutes. Les lumières ont légitimement opposé aux religions prémodernes une théologie naturelle et rationnelle auto-suffisante. Reconnaissons que ces démarches purificatrices modernes ont produit l’humanisme des droits de l’homme édictés sous les auspices de l’être suprême.
Donc rien n’interdit de voir dans ces tentatives postmodernes de libération spirituelle une prolongation de la démarche moderne de rationaliser et de séculariser les spiritualités religieuses judéo-chrétiennes engoncées et souvent étouffées dans leurs dogmes intolérants et superstitieux.

B - LES FAIBLESSES DU CHEMINEMENT SPIRITUEL INDIVIDUALISTE.


i) Si leurs penchants l’emportent, leurs cheminements n’aboutissent qu’à du syncrétisme, leur religiosité ne sera qu’une élaboration de leur désir prérationnel.


À Romain Rolland qui jugeait la critique athée de Freud un peu expéditive, du fait de son ignorance des expériences de sentiment océanique, Freud rétorqua en nourrissant un soupçon nouveau contre toute forme de religiosité : elle chercherait à satisfaire une nostalgie de l’état fusionnel psychique fœtale. En effet le fœtus a une vie psychique pré-égotique et irrationnelle en parfaite fusion avec son environnement maternel. Cette harmonie avec l’univers sera donc obtenue par des pratiques extatiques visant à affaiblir le sens de la séparation entre soi, les autres et le monde caractéristique de l’ego et de la rationalité sujet-objet.
À vrai dire toutes les méthodes spirituelles de relaxation ne sont-elles pas fondées sur l’abolition momentanée des frontières psychocorporelles de notre individualité ?
Paradoxe de la postmodernité, l’individualisation la plus radicale de la spiritualité religieuse dont la démarche semble la plus contraire à tout communautarisme aboutit à chercher la dissolution la plus exacerbée de notre personnalité.
Le succès du néo-chamanisme s’explique assez bien de ce point de vue. En effet le pratiquant néo-chamane use des rythmes musicaux proches du rythme cardiaque, de rythmes respiratoires proches de ceux du bébé, de drogues hallucinogènes ou du milieu chaud et humide d’une tente de sudation, toutes conditions évoquant l’État fœtal et favorisant l’infantilisation.

ii) [Critique :]


Certes même un délire spirituel syncrétique consacrera incontestablement une liberté individuelle de conscience et d’expression sans précédent. Mais que vaut une telle démarche si elle est impuissante faute de sens communautaire à résister à la montée de communautés religieuses solides et attirantes parce que bien délimitées par des clôtures dogmatiques et capables de revendiquer une tradition spirituelle éprouvée et balisées ?

II - MAIS LE TRADITIONALISME RELIGIEUX NE SE FONDENT-ILS PAS SUR LA DÉMISSION DE TOUTE AUTONOMIE RÉFLEXIVE ET DE TOUT SENS DE SON AUTORITÉ PERSONNELLE ?


A- LA FOI RELIGIEUSE NE PLONGE-T-ELLE PAS SES RACINES DANS UN GESTE IRRATIONNEL DE CONFIANCE IRRÉFLÉCHI ?


Souvent les démarches religieuses traditionnelles proposent prosaïquement de se relier (religare) au divin par la foi pour espérer malgré tout. La mort, l’absurdité apparente de la vie humaine et l’aspiration à l’amour et au bonheur sont d’abord surmontées par un acte de foi qui trouve certainement sa source dans les mentalités premières de communautés dont la survie n’était pas assurée. Cette méthode de fixation de la confiance existentielle procède par ténacité aveugle comme une autruche tête dans le sable qui refuse de voir tout ce qui la menace. Elle a le mérite de ne pas succomber aux sirènes de la dépression dont nos contemporains agnostiques sont plus souvent victimes que les membres de communautés religieuses traditionnelles.

B- CEPENDANT CET AVANTAGE ANTIDÉPRESSEUR DE LA FOI OUVRE LA PORTE À DE NOMBREUX INCONVÉNIENTS ANTIPHILOSOPHIQUES.


La religion suscite alors en effet une perte d’autonomie réflexive qu’elle compense en s’appuyant sur l’autorité d’une tradition. Pour fixer la croyance en l’autorité de la tradition, il faut la sacraliser.

i) Premièrement il faut se comporter scrupuleusement dans l’effectuation de rites ou de pratiques la réactualisant (religere) quitte à craindre une damnation éternelle. Paradoxe, il faut pour nourrir la confiance existentielle et se libérer de l’angoisse de vivre et de mourir développer la crainte de ne pas se racheter ou de sauver son âme. La confiance existentielle religieuse se nourrit de récits miraculeux ou mythologiques mêlant les rachats miraculeux avec des damnations terrifiantes. La cohérence des traditions religieuses est donc forte et comporte une connaissance indéniable de la puissance symbolique. Mais renforcer l’autorité de la tradition par le développement interprétatif de la cohérence des symboles ignore comment la méthode scientifique donne d’abord autorité à des faits objectifs pour tester les théories.

ii) Deuxièmement il faut assimiler tout questionnement à des doutes profanant l’autorité sainte fondant la tradition. La libre pensée et le sens de sa propre autorité personnelle deviennent alors sacrilèges. Ce sont des refus de sacrifier sa petite personne au salut religieux de la communauté. C’est une trahison de la puissance de notre identité religieuse collective (religare).

C- [Critique :]


Ainsi le traditionalisme religieux pour conforter l’autorité de sa tradition voit un danger dans toute tentative de forger le sens personnel de sa propre autorité par l’usage d’une autonomie réflexive. Les religions traditionnelles s’opposent donc à première vue à des spiritualités philosophiques centrées sur l’émancipation de la réflexion personnelle. La critique anarchiste des religions traditionalistes y voit des pourvoyeurs de la logique de domination hiérarchique antidémocratique. Mais une politique valorisant l’émancipation des logiques hiérarchiques de domination à marche forcée imposant l’athéisme par la force ne reconduit-elle pas au dogmatisme intolérant des idéologies religieuses ? Historiquement il nous faut reconnaître que les persécutions les plus meurtrières en matière de croyance émanent des idéologies communistes. Les persécutions religieuses ou les actes terroristes motivés par la religion auront fait des victimes et des guerres certes nombreuses et questionnaires sur l’opportunité d’adhérer à des traditionalismes religieux mais les assassinats massifs opérés au nom de l’émancipation athée sont tout aussi questionnaires et malheureusement plus nombreuses.

III – VERS UNE LAÏCITÉ RÉPUBLICAINE 3.0.


PRÉAMBULE - Avec la laïcité républicaine nous pensons que la liberté personnelle et collective comme solidarité non communautariste n’exclut pas la liberté de croyance (ou d’incroyance) religieuse. La laïcité républicaine est une communauté citoyenne ouverte au pluralisme qui peut renforcer réciproquement la liberté de croyance (incroyance) religieuse, l’authenticité spirituelle et l’autonomie réflexive philosophique.

A- Le républicanisme laïque ne vise pas à créer une religion civile mais une solidarité fondée non sur la sacralisation d’une uniformisation identitaire mais sur l’émancipation pluraliste du dogmatisme idéologique, traditionaliste et communautariste. Ici nous estimons que la nostalgie d’une sacralité républicaine comme la pense Régis Debray revient à faire de la laïcité une religion civile à laquelle les religieux traditionalistes doivent adhérer.
 


 
On peut apprécier ce rapport de force qui vise à sanctuariser l’espace public en le sacralisant. Mais on peut en un sens sanctuariser l’espace public en imposant dans son champ le respect de l’égalité homme-femme et donc de la mixité citoyenne. On peut sanctuariser la neutralité laïque en interdisant aux mineurs en position d’hétéronomie vis-à-vis de leur famille et de leur communauté d’arborer tout signe religieux marquant leur appartenance.

B- Toutefois on doit reconnaître que cette sanctuarisation objet de passions politiques revient à stigmatiser plus certaines appartenances religieuses que d’autres. La laïcité est aujourd’hui souvent victime d’une annexion à des causes politiques identitaires dommageables. Grosso modo on invoque la laïcité pour stigmatiser des options religieuses qu’on juge une menace pour la stabilité d’une identité nationale ancestrale. On confond la lutte légitime contre les replis identitaires et religieux qui menacent la cohésion de la solidarité nationale avec la crispation sur une identité nationale elle-même dogmatique, mythologique, intolérante et ego-centrique.

C- Rappelons que la laïcité entend au sens authentique participer de mœurs favorables à la liberté de conscience et d’expression. La laïcité se réclame de l’humanisme des Lumières qui a produit les droits de l’homme dont liberté de conscience et d’expression sont des principes centraux. De fait elle implique une dimension de neutralité au sens d’une tolérance vis-à-vis des croyances dès lors qu’elles sont capables de vertu de tolérance. Mais cette neutralité n’est pas inopérante et sans valeur. La laïcité assure à chaque individu la possibilité de prendre ses distances avec une communauté de croyances dans laquelle pourtant il a pu être immergé jusqu’à penser que toute autre croyance était illusoire même s’il s’efforçait de demeurer tolérant. Cette distanciation ne sera pas forcément en rupture avec sa croyance passée ou conversion à une autre croyance mais la laïcité comme espace de neutralité solidaire et républicain permet de réinterpréter librement sa croyance. La laïcité si elle impose son espace de neutralité à tout engagement religieux ou spirituel leur donne une dimension d’autonomie et de libre choix. La présence de la république laïque dans chacun de ses territoires préservera au moins cette dimension même au cœur de croyances qu’on peut juger infantilisantes, superstitieuses, dogmatiques, irrationnelles ou communautaristes même si pour apparaître républicano-compatibles elles jouent le jeu de la tolérance. Des événements de conversion ou des critiques internes sous la pression de critiques externes légitimes amèneront certainement des évolutions de plus en plus favorables à la liberté de conscience et d’expression. L’espace laïque permet aussi un espace de réflexion et de dialogue argumenté où l’affirmation pure et simple de ses convictions rencontre inexorablement les exigences de l’argumentation rationnelle.

D- Nous devons cependant insister sur le fait que la liberté de conscience est la garante d’un engagement religieux plus profond. La crainte des flammes de l’enfer si commune aux religions traditionalistes pour les mécréants produit des êtres peu capables de spiritualité profonde. Quand je suis une morale par crainte de l’enfer et désir d’une récompense paradisiaque, j’agis encore de manière intéressée. Cette religion traditionaliste limitée à cette approche s’avère un marchandage avec le divin digne de ces temps où l’on sacrifiait des êtres vivants ou des êtres humains pour calmer les dieux irritables et menaçants. Ceux qui trouvent ce portrait caricatural considéreront les dérives terroristes de religieux traditionalistes où on sacrifie des vies humaines de mécréant au profit d’un dieu sanguinaire et guerrier.
Lorsqu’avec la conception libérale de la laïcité, telle que Locke l’esquisse et que Bayle l’élargit, on envisage l’espace publique comme un espace d’émulation au service désintéressé des autres, chaque spiritualité religieuse ou philosophique est mise au défi d’être un authentique chemin d’ascension vers le sommet commun de l’amour pur et désintéressé des autres. Autrement dit ma communauté spirituelle exclusive est une affaire privée pas forcément portée à l’exclusion mais qui doit faire idéalement de moi un citoyen vertueux et solidaire matériellement avec tous les citoyens de quelque appartenance religieuse et philosophique qu’ils soient.

E- La laïcité républicaine n’est pas seulement un espace de neutralité protégeant le libre choix des consciences comme Jean Jaurès le rappelle mais aussi un espace spirituel d’émancipation et de formation du sens d’être sa propre autorité. Ici l’éducation aux formes diverses de la rationalité, aux méthodes scientifiques, aux arts de l’interprétation des sciences humaines ou encore au fond culturel humaniste est loin d’être neutre. Certes le citoyen a la liberté de conscience et on ne peut pas lui imposer par la contrainte d’adhérer à l’évolution des espèces, à la critique philosophique et sociologique des hiérarchies traditionalistes contraires à l’esprit démocratique. Mais notre laïcité impose d’étudier ces points de vue à l’école, d’en voir et d’en tester les tenants et aboutissants...

F- De ce point de vue, les neurosciences et la psychologie validant les apports bénéfiques de la méditation de pleine conscience telle qu’elle a été extraite de son contexte religieux bouddhistes, ne devra-t-on pas non plus introduire ce type de technique dont il a été montré qu’elle ne dépersonnalise pas en émondant le sens de la séparation entre soi, les autres et le monde mais qu’au contraire elle donne à ses pratiquants une meilleure attention et concentration utiles dans les apprentissages ainsi qu’une meilleure gestion du stress facilitant le développement de ses capacités personnelles. Notre conception de la laïcité veut éviter un combat moderne simpliste contre l’obscurantisme des traditionalismes religieux au risque d’en ignorer les apports spirituels parfois inemployés. Mais elle veut aussi éviter de se promouvoir comme ouverture postmoderne au pluralisme des croyances religieuses, spirituelles et philosophiques en renonçant à l’émancipation de l’hétéronomie communautariste. Notre conception veut devenir une plateforme hypermoderne de la constitution d’une science spirituelle dont les religions auront été seulement précurseur... Elle veut arracher l’or spirituel des grands fleuves des traditionalismes religieux que les crispations identitaires face à la modernité précipitent dans l’oubli au lieu de les faire briller pour toute l’humanité. Elle veut non pas une coexistence pacifique des cultures spirituelles, religieuses et philosophiques mais elle veut contribuer à favoriser de nouvelles synthèses spirituelles comme dans le passé le judaïsme procède certainement d’une synthèse incluant et dépassant des apports du zoroastrisme avec des éléments de spiritualité égyptienne. Comme la théologie chrétienne dès son émergence dans le Nouveau Testament intègre des éléments des spiritualités philosophiques grecques. Comme l’ésotérisme soufi musulman s’avère lui-même une synthèse spirituelle des éléments coraniques hérités du judéo-christianisme, de techniques spirituelles néoplatoniciennes de l’école de Bagdad fondée après que l’empereur chrétien ait fermé les écoles néoplatoniciennes de son empire et enfin certainement d’éléments venus du tantrisme hindou ou bouddhiste comme les centres psychocorporels al-Laṭaʾif as-Sitta que le yoga tantrique nomme chakras. D’ailleurs l’affirmation historique d’une unité transcendante des religions à partir de leurs spiritualités a émergé du IXe au XIIe siècle dans les milieux soufis musulmans [voir annexe].


Cette idée hypermoderne d’une sortie de l’étroitesse des traditionalismes religieux en s’appuyant sur le caractère universel des sciences spirituelles traditionnelles de l’intériorité aurait donc un précédent dans la tradition spirituelle de la religion la plus décriée par les modernes mais malheureusement la plus ignorée de ses propres adeptes les plus traditionalistes.
 

Une laïcité hypermoderne transformerait donc les spiritualités religieuses qui souvent malheureusement cautionnent encore l’hétéronomie religieuse et les communautarismes dogmatiques en philosophies spirituelles rationnelles, partageables et libératrices nourrissant une culture républicaine d’égalité, de liberté et de fraternité transcendant et intégrant les cultures multiples des citoyens.
 


OUVERTURE

On pourra prolonger la réflexion ci-dessus à l'aide d'une conférence vidéo d'Abdennour Bidar dont son livre  Les Rencontres de la laïcité aux éditions Privat  est issue :




ANNEXE 1 SUR L’ÉVOLUTION DES MENTALITÉS ET LES DIVERSES CONCEPTIONS DE LA LAÏCITÉ EN JEU ICI :






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ANNEXE 2 SUR L’UNITÉ TRANSCENDANTE DES RELIGIONS DANS LE SOUFISME MUSULMAN :


« Hallâj [né vers 857 (ou 244 de l’Hégire), mort le 26 mars 922 (ou 309 de l’Hégire) à Bagdad] professe évidemment l’universalisme de la « Religion primordiale ». Après avoir tancé un musulman qui s’en prenait à un juif sur le marché de Bagdad, il a ces mots : « J’ai réfléchi sur les dénominations confessionnelles, faisant effort pour les comprendre, et je les considère comme un Principe unique à ramifications nombreuses. »
[...]
Ibn ‘Arabî [né le 7 août2 1165, à Murcie, en al-Andalûs (Empire Almohade) , et mort le 16 novembre 12403, à Damas] en arrive à une autre conclusion : quel que soit le destinataire du culte que voue l’homme (Dieu dans ses diverses nominations, mais aussi la nature ou même les idoles), c’est toujours Dieu qu’il adore, même s’il n’en est pas conscient. Tel est le sens de ce fameux poème :

Mon cœur est devenu capable de toutes les formes
Une prairie pour les gazelles, un couvent pour les moines
Un temple pour les idoles, une Ka‘ba pour le pèlerin,
Les Tables de la Thora, le Livre du Coran.
Je professe la religion de l’Amour, et quelque direction
Que prenne sa monture, l’Amour est ma religion et ma foi. »


Ceci est extrait de :


Toutefois cet article d’Eric Younès Geoffroy défendant l’unité transcendante des religions nous semble discutable de notre point de vue que nous affirmons laïque et hypermoderne.
Cette approche défend une position exclusiviste en affirmant que chaque chemin religieux pour mener au sommet spirituel commun à toutes les religions doit être suivi de façon radicale.
Premièrement, notre approche affirme que les mentalités religieuses évoluent. Or cette approche exclusiviste va insister sur la pérennité de la dimension spirituelle des religions.
Deuxièmement, selon cette approche exclusiviste de l’unité transcendante des religions, notre idée de tirer une science spirituelle en synthétisant des expériences spirituelles en dehors de leur religion d’émergence serait anti-traditionnelle et vouée à l’errance spirituelle. Cet argument nous semble contraire à l’esprit spirituel de la laïcité qui s’ancre lui dans la tradition philosophique...
Nous pouvons situer cette approche exclusiviste de l’unité transcendante des religions dans notre spirale des mentalités : elle reste une infiltration pré-moderne de la critique postmoderne de la conception moderne de la laïcité.


AU-DELÀ LA SOCIÉTÉ 3.1 ? UNE SOCIÉTÉ CENTRÉE SUR LA PSYCHISATION ENTENDUE COMME ÉMERGENCE CONSCIENTE DE L’ÉVOLUTION DE L’ÂME ?